Le Conseil fédéral n’a pas pris ses responsabilités

En n’adoptant pas de plans d'aide à hauteur des sacrifices exigés par de nombreux secteurs économiques, la Confédération s'est elle-même mise dans une situation politique inextricable.
Grégoire Barbey

La pandémie de covid-19 frappe la Suisse depuis plus de neuf mois. Alors que l’été a laissé entrevoir une amélioration de la situation sanitaire, les premiers jours de l’automne ont rapidement balayé tout espoir de «vivre avec le virus» tout en maintenant des activités aussi normales que possible. La deuxième vague n’était pas prévue, affirment en chœur les autorités cantonales et fédérales. Pas aussi vite, pas aussi forte. Soit. Mais cela ne devrait pas pour autant empêcher une remise en question de la stratégie de la Suisse face à cette pandémie.

Parce que cette volonté de s’appuyer sur la responsabilité de chacune et chacun pour adopter les bons comportements est sur le papier une attitude louable. Quel beau pays celui-là où l’on fait suffisamment confiance à la population pour agir convenablement. Derrière ce discours cache en réalité une stratégie moins avouable: en s’appuyant sur la responsabilité individuelle, on veut diluer la responsabilité publique, donc la solidarité de la société. On impose le minimum de mesures, et lorsque celles-ci sont inévitables, elles ne font pas l’objet des indemnisations financières à la hauteur du préjudice subi.

La Confédération a d’abord abandonné les cantons. Ces derniers, trop contents de pouvoir expérimenter eux-mêmes une politique sanitaire moins stricte que celle menée par le Conseil fédéral ce printemps, ont d’abord cherché à en faire le moins possible. Et puis, lorsque la situation s’est aggravée, il a fallu se résoudre à des mesures plus strictes. A des fermetures de pans entiers de l’économie. Des plans d’aide ont suivi, tardivement et de façon bien insuffisante, pour tenter de sauver ce qui peut l’être et de limiter la colère des secteurs économiques en souffrance. Mais les cantons n’ont pas les moyens de la Confédération. Et celle-ci, s’étant déchargée de toute responsabilité, s’est bien gardée de proposer à l’échelle nationale une stratégie économique courageuse. Des aides, oui. Le minimum. En Suisse, on compte chaque centime, et il ne faudrait pas laisser penser qu’on puisse subvenir aux besoins de gens qui ne travaillent pas. Même s’ils en sont empêchés par les autorités elles-mêmes. Quel beau pays, n’est-ce pas?

Et donc nous assistons depuis des mois, médusés et fatigués, à ce ping-pong incessant entre les autorités cantonales et fédérales sur qui doit assumer quoi. Pendant que des entrepreneuses et des entrepreneurs, des employées et des employés, ignorent s’ils pourront boucler leurs fins de mois. S’ils pourront même continuer à exercer l’activité dont on exige qu’elle s’arrête.

Personne ne remet en cause la nécessité, sur un plan sanitaire et politique, de fermer certaines activités. Pour réduire les contacts. Il s’agit d’un sacrifice, et les secteurs économiques qui consentent malgré eux à ce sacrifice permettent au reste de la société de fonctionner autant que possible compte tenu des circonstances. Ce sacrifice, il a pour but de nous protéger. Toutes et tous. Il serait donc normal de participer, toutes et tous, à l’effort qu’incombe la préservation de ces activités économiques. Au travers d’aides publiques. A fonds perdus. La dette est un instrument de politique économique bien documenté. Mais la Suisse, par une espèce de phobie difficilement compréhensible compte tenu de sa richesse, s’y refuse. C’est un tabou absolu. Alors à quoi bon consentir en temps de vaches grasses à toute cette rigueur économique, tous ces efforts, si cela ne sert même pas à limiter la casse lorsque le pire se produit?

Le résultat, c’est que les secteurs économiques concernés n’en peuvent plus. Leur adhésion aux mesures s’étiole. Celle de la population en général aussi. Le gouvernement ne peut plus décider sereinement de la marche à suivre puisqu’il doit composer avec une colère qui grandit de jour en jour. Et le Conseil fédéral est responsable de ce sentiment de ras-le-bol. Parce qu’il n’a pas assumé sa responsabilité. Aujourd’hui, alors qu’il sent que la situation va empirer, il veut reprendre la main. Imposer d’autres mesures, en catimini. Pour beaucoup, c’est trop. Il promet des aides, mais il n’en montre pas la couleur. Depuis le début de cette crise, la Confédération a imposé, puis elle a pris le temps de proposer des plans d’aide au rabais. Comme si l’urgence sanitaire ne s’accompagnait pas d’une urgence financière pour toutes les personnes empêchées de faire tourner leur business.

C’est une honte. L’attitude du Conseil fédéral est choquante. Ahurissante. Elle témoigne d’un mépris pour la réalité vécue par des dizaines de milliers de personnes dans ce pays. Elle laissera des traces, parce que la politique adoptée par la Suisse fait la démonstration que la solidarité a ici des limites. Et c’est bien malheureux. Désormais, il est à craindre que le Conseil fédéral ne puisse plus faire accepter les mesures qu’il juge pourtant nécessaire aux cantons. Et il en sera malheureusement seul responsable. Il a lui-même attaché le boulet qui pend maintenant à ses pieds. – (Grégoire Barbey)

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