Le dangereux glissement vers la techno-surveillance

La pandémie sert d'accélérateur à des mécanismes de surveillance pré-existants.
Grégoire Barbey

La pandémie de coronavirus agit comme un formidable révélateur – et un accélérateur – des tentations de tout contrôler en permanence, ce que les nouvelles technologies rendent possible en pratique. Quand bien même les autorités affirment que leurs intentions sont pures et louables, la mise en œuvre d’applications de traçage des contacts, la création de bases de données pour faciliter la recherche des personnes ayant été proche du virus ont vocation à s’étendre et à survivre à la crise sanitaire.

Alors que le Conseil fédéral avait annoncé que l’application Swisscovid devait être provisoire, la date d’arrêt du dispositif demeure inconnue, et la tentation de renforcer son action en la fusionnant avec l’application NotifyMe pourrait permettre de justifier la prolongation de l’expérience. Expérience qui d’ailleurs s’avère a minima peu fructueuse, motif qui selon la législation justifie un arrêt de l’exploitation de l’application, mais dont on peine à mesurer l’efficacité réelle tant les autorités semblent peu enclines à s’épancher sur le sujet…

Autre aspect problématique, l’architecture bluetooth qui permet le traçage des contacts créée par Apple et Google (GAEN, pour Google/Apple Exposure notification) n’est pas aussi sécurisée que l’ont affirmé ses concepteurs. Une faille qui pourrait remettre en cause la – relative – confiance des utilisatrices et utilisateurs qui se sont encore une fois reposés sur les promesses de gouvernements dont la capacité à gérer les défis numériques confine à l’absurde.

Le dernier coup de Trafalgar en date, c’est la décision du Conseil-exécutif bernois de déroger à l’ordonnance fédérale afin de créer une base de données centrale des personnes fréquentant des bars et des terrasses. Un registre qui théoriquement ne devrait servir qu’en cas de traçage des contacts. Mais comme le relève l’avocat Sylvain Métille sur Twitter, il semble qu’il y ait peu de garde-fous pour empêcher une surveillance systématique.

La création d’un certificat de santé qui devrait permettre aux gens de démontrer qu’ils ont été soit vaccinés, soit contaminés et guéris, soit récemment testés négatifs pour accéder à des événements ou des lieux en Suisse devrait nous interroger sérieusement. Quels seront les contours de ce sésame qui permettrait de retrouver un semblant de «vie normale»? Comment seront conservées les données personnelles liées à ce certificat qui sera logiquement numérique? Peut-on faire confiance à la Confédération pour mener à bien ce projet alors même qu’elle a démontré son incompétence dans d’innombrables expériences en lien avec les défis numériques? Et si certificat de santé il y a, comment être sûr qu’il n’y aura pas, une fois la pandémie derrière nous, de nouveaux arguments pour en étendre l’utilisation?

Les autorités ont parfaitement démontré durant cette crise que les moyens technologiques mis en œuvre pour lutter contre la pandémie ont la fâcheuse tendance à s’installer dans la durée et à étendre leurs prérogatives. L’aversion au risque qui caractérise notre société moderne pousse les individus à accepter une surveillance toujours plus flagrante de leur corps et de leur profil psychologique et social. Nous devons constater à quel point, en quelques mois de pandémie, nous avons repoussé les limites de l’acceptable en matière de techno-surveillance. Ces petites victoires d’étape menées par les défenseurs de cette rationalisation des comportements humains grâce à la technologie auront des effets à long terme sur nos sociétés. Faute d’un sursaut de conscience rapide et dynamique, le rapport de force entre la tentation de tout contrôler pour limiter les risques et la préservation des libertés va continuer à se déséquilibrer. Jusqu’au moment où il sera trop tard pour faire marche arrière. Nous sommes à un moment charnière de notre histoire. – (Grégoire Barbey)

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Une réponse sur “Le dangereux glissement vers la techno-surveillance”

  1. On s’offusque et s’inquiète des dérives de ce glissement, mais n oubliez pas que Apple, facebook, instagram, Google, Visa, et consorts avec leurs outils de localisation divers, savent déjà sur quelles terrasses vous allez, et ce que vous buvez, lisez, manger, etc…et dans ce cas là c est nous même qui leur accordons ce droit…alors ceci est un faux débat, BIG BROTHER existe déjà il a pas attendu le COVID, il a pour nom les GAFA et ceci avec notre plus grande autorisation

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