Identité électronique: non à la privatisation d’une tâche régalienne

Le député socialiste genevois Emmanuel Deonna appelle à refuser la Loi sur les services d’identification en ligne le 7 mars 2021.

Les entreprises privées devraient-elles pouvoir délivrer des cartes d’identité numériques? C’est en effet ce que prévoit la loi sur l’identité électronique sur laquelle la population suisse est appelée à voter le 7 mars prochain. Le Conseil fédéral et le Parlement plaident maintenant pour un changement inquiétant de cadre légal. Si la loi sur l’identité électronique soumise à votation est acceptée, des entreprises privées pourront délivrer un passeport suisse numérique (e-ID) et gérer des données privées sensibles. On substituera au Bureau des passeports fédéral un contrôle de notre identité par des grandes banques, des compagnies d’assurance et des sociétés liées à l’Etat (La Poste, UBS, Crédit Suisse, Swisscom et d’autres assureurs)! Or, l’identité électronique doit faire partie des services de base assurés par l’Etat, à l’instar de la délivrance de la carte d’identité et du passeport. Cependant, telle que formulée, la loi sur laquelle nous votons prévoit que l’Etat s’assurera en amont uniquement de la fiabilité des données. Puis, elle les cèdera aux privés qui deviendront responsables aussi bien du développement technique que de la distribution de l’identité électronique. Alors que l’e-ID est un élément déterminant pour la démocratie numérique, l’Etat décide ainsi volontairement de renoncer à une partie de ses prérogatives, avec le risque d’amoindrir ses compétences et son autorité!

Selon le texte soumis à votation, les fournisseurs de l’e-ID auront certes l’interdiction d’exploiter nos données. Cependant, il est prévu qu’elles pourront les stocker pendant six mois. Les géants du numérique (GAFAM) développent des trésors d’imagination technique et commerciale, ainsi que d’impressionnantes activités de pression et de persuasion politique, pour mettre la main et garder le contrôle sur nos données privées. Chaque jour qui passe nous en fournit une illustration! Les progrès des technologies de l’information et de la communication, de la science informatique et des systèmes de gestion des données, sont rapides et constants. Dans ce contexte, il est ridicule d’affirmer, comme le font les partisans de la loi, que nos données pourront être protégées de façon absolument sûre contre une cyberattaque et leur exploitation par des tiers à des fins commerciales. Flou, le cadre légal prévu rendra impossible la surveillance et le contrôle des entreprises privées. Nous ne savons quasiment rien des modèles économiques utilisés par ces entreprises, futures fournisseuses de l’E-ID autorisées à conserver nos données. Pour ces entreprises, l’identité électronique sera une activité potentiellement très lucrative.  Dès lors, nous pouvons imaginer toutes sortes de dérives. C’est sans doute pour cette raison que les entreprises qui bénéficieraient de la nouvelle loi investissent beaucoup d’argent et d’énergie dans la campagne.

Une perte de contrôle sur nos données est d’autant plus inquiétante que leur protection est une condition sine qua non pour le développement de prestations sensibles qui font déjà beaucoup parler d’elles, telle que le dossier électronique du patient et le vote électronique. La pandémie, et le semi-confinement imposé, ont mis en évidence l’omniprésence du digital dans notre quotidien, et l’utilité de la cyberadministration. Même si incomplètes ou critiquées, les données transmises quotidiennement par l’Office fédéral de la santé publique permettent, par exemple, peu ou prou, de surveiller l’évolution de l’épidémie dans le pays. Certains observateurs plaident aujourd’hui pour le développement d’une véritable plateforme numérique nationale permettant de rassembler les informations utiles et nécessaires auprès des médecins et des hôpitaux. Les discussions concernant l’identité numérique ou le l’e-voting progressent. Mais, elles sont délicates. Elles achoppent sur les questions de protection des données et de sécurité qui doivent faire l’objet d’examens très sérieux et approfondis. Il ne faut pas sacrifier l’esprit de la démocratie sur l’autel de l’efficience technologique.

D’après un sondage représentatif, en raison d’un déficit de confiance envers les acteurs privés, plus de 87% de la population souhaite obtenir son passeport numérique auprès de l’État plutôt que d’entreprises privées. Le 7 mars prochain, pour protéger notre intégrité et renforcer la démocratie numériques, votez non à la privatisation de l’identité électronique!

Lire aussi l’opinion du député libéral-radical genevois Pierre Nicollier qui appelle à accepter la loi.

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