Vote électronique: l’enjeu n’est ni financier, ni technique, il est politique!

La communication de La Poste et Scytl autour du stress test du code source de leur système de vote électronique est dramatique. Les cantons et la Confédération doivent se ressaisir et changer d'approche.
Grégoire Barbey

Le recours au vote électronique en Suisse n’est ni un enjeu technique, ni financier, mais bel et bien politique. Malheureusement, la Confédération ainsi que les cantons semblent avoir choisi de privilégier la logique de l’efficience, à savoir adopter un système qui soit le moins cher en termes de ressources financières et techniques, plutôt que d’opter pour un modèle qui satisfasse des exigences fondamentales en matière de démocratie, peu importe les défis. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, la solution proposée par La Poste, en partenariat avec l’entreprise internationale Scytl, a les faveurs de plusieurs cantons. Même le canton de Genève, qui développait depuis plus de 15 ans son propre système de vote électronique, a décidé de jeter l’éponge et de se rabattre d’ici 2020 vers l’offre de La Poste et Scytl.

Ce qui est intéressant dans le cas du canton de Genève, c’est la communication des autorités. Interpellé à de réitérées reprises sur ce sujet, le président du Conseil d’Etat Antonio Hodgers finit par dire sur Twitter que le canton pourrait reprendre son projet «si la Confédération et les autres cantons le soutiennent formellement et concrètement». Selon lui, ce n’est pas aux Genevoises et aux Genevois d’assumer la charge et le risque d’un projet dont tout le monde profite. On peut analyser les propos de Monsieur Hodgers de deux manières différentes: l’abandon du vote électronique genevois est une décision motivée par des considérations uniquement financières. Ou alors, Genève tente un coup de bluff pour mettre la Confédération et les autres cantons au pied du mur.

Pour y voir plus clair dans cette affaire, il faut rappeler que l’abandon du projet genevois coïncide aussi avec le départ de l’ancienne chancelière Anja Wyden Guelpa, et de son vice-chancelier Christophe Genoud, tous deux très impliqués dans ce projet. Selon toute vraisemblance, c’est donc plutôt la logique de l’efficience qui a prévalu sur toutes les autres considérations. Pourtant, si le Conseil d’Etat genevois avait choisi une approche politique du vote électronique, il aurait fait fi des enjeux techniques et financiers, et aurait mis en place un réel lobbying en faveur de son modèle.

Ce d’autant plus qu’actuellement, La Poste et Scytl font la démonstration d’un amateurisme hallucinant vis-à-vis de leur système de vote électronique. En pleine phase de test du code source de leur plateforme, La Poste et Scytl ont opté pour une vision incompatible avec l’essence même du vote électronique. En effet, les partenaires se réfugient derrière le secret commercial et la propriété pour justifier leur rejet d’un code open source. Dès lors, au moment où ils ont donné l’accès à leur code source sous des conditions strictes, des utilisateurs l’ont copié et l’ont hébergé sur des plateformes publiques. On notera d’ailleurs que des experts en matière de sécurité informatique se sont basés sur les versions copiées du code. Il faut y voir un refus de leur part d’accepter les conditions restrictives imposées par La Poste et Scytl.

Les critiques ne sont pas faites attendre et de nombreuses expertes et experts ont dénoncé d’une part un code insuffisamment sécurisé et d’autre part une approche incompatible avec l’enjeu du vote électronique. La Poste et Scytl ont pourtant décidé de rester intraitables sur leur position, et ont exigé le retrait du code source des plateformes publiques sur lesquelles il a été hébergé. Une erreur stratégique qui leur coûtera sûrement cher sur la durée, ce d’autant plus que les critiques qui peuvent être faites à l’égard de leur système ne sont pas accessibles à tous les utilisateurs, et qu’en plus, pour des considérations de communication, La Poste et Scytl ont utilisé le retour de certains utilisateurs sans leur avoir demandé leur consentement au préalable. Bref, leur gestion des relations publiques est une catastrophe.

Le problème est d’autant plus criant lorsque, sur Twitter, des élus interpellent les cantons de Neuchâtel et de Fribourg (qui ont opté pour la solution La Poste-Scytl) à la suite d’un article du média alémanique Republik.ch qui pointait du doigt des problèmes quant au système de vote électronique et que ces cantons ne peuvent rien faire d’autres que d’annoncer qu’il faut attendre la communication officielle de La Poste. Voir des cantons devenir les porte-paroles d’une entreprise privée s’agissant du vote électronique, qui est quand même infiniment important en termes de confiance puisque les gens l’utilisent pour exprimer leur avis dans le cadre des élections et des votations, c’est choquant.


Le vote électronique doit être totalement ouvert dans sa conception, son fonctionnement et son utilisation. Ce n’est pas négociable. L’approche politique actuelle ne peut conduire qu’à une seule conséquence: l’acceptation du moratoire sur le vote électronique qui fait actuellement l’objet d’une récolte de signatures. Même les personnes qui sont convaincues par l’utilité du vote électronique se rallieront à ce projet si les cantons et la Confédération ne revoient pas d’ici-là leur position. L’enjeu est bien trop important pour la confiance dans notre système de vote pour le laisser dans les mains d’apprentis sorciers qui n’ont décidément qu’une vision très partielle des enjeux derrière ce sujet. Ce qui est triste, c’est que tout cela n’aura pour conséquence que de ralentir le développement d’un système adapté, qui aura développé comme à Genève une approche ouverte et l’expérimentation d’une culture du vote électronique auprès du plus grand nombre.

Espérons que face à la gestion calamiteuse de La Poste et Scytl de la phase publique de test de leur système, cantons et Confédération reverront leur approche. Dans le cas contraire, il faudra se résoudre à mettre le vote électronique de côté, le temps que les mentalités évoluent. Une perte de temps inutile.

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