Peur, menaces, chantage… le débat démocratique suisse mérite mieux

Les campagnes de votation sont trop souvent réduites à des arguments émotionnels.
Grégoire Barbey

Chaque votation populaire en Suisse suscite de vastes débats. Les discussions sont passionnées et les arguments se multiplient. Ces derniers ne brillent toutefois pas souvent par leur originalité. A gauche comme à droite, on hésite rarement à appuyer sur la corde sensible: la peur. Que cela soit à travers des menaces à peine voilées ou un chantage éhonté.

Quelques exemples récents: l’initiative Minder, il y a quelques années, avait beaucoup agité les milieux économiques, lesquels avaient fait campagne à grand renfort de slogans anxiogènes. Accepter cette initiative, c’était, à en croire leurs déclarations, porter un coup fatal à la success story économique de la Suisse. La majorité du corps électoral a cependant choisi, malgré l’argument de la peur, de soutenir cette initiative. Et la Suisse se porte toujours bien, sans grande surprise.

Les milieux économiques sont connus pour leur recours incessant à la peur et à tout ce qui en découle. Six semaines de vacances? Le modèle économique suisse n’y survivrait pas. Un salaire minimal? Impensable, sous peine de flinguer la prospérité du pays. Bref, la qualité des arguments n’est pas souvent au rendez-vous. Mais les milieux patronaux ne sont de loin pas les seuls à abuser de telles stratégies vieilles comme le monde.

Dans le cadre de la votation sur la troisième réforme de la fiscalité des entreprises, le conseiller fédéral Ueli Maurer avait mis en garde la population: la refuser, c’était s’exposer à une inévitable hausse des impôts des personnes physiques. Les Suisses ne s’y sont pas trompés et malgré la menace et le chantage, ils ont refusé le projet du Conseil fédéral. Résultat, ce dernier planche maintenant sur une nouvelle version, laquelle devrait être épurée des éléments qui ont conduit à faire échouer la précédente réforme.

Les Suisses se prononceront le 24 septembre sur la réforme de la prévoyance vieillesse. Sujet éminemment important. Le Parti socialiste, toujours prompt à dénoncer – avec raison – les arguments iniques faisant appel au chantage, à la menace et à la peur de ses adversaires, ne se gêne pourtant pas d’y recourir également. La cohérence est une vertu plutôt rare en politique. Il faut dire que la réforme proposée par le ministre socialiste Alain Berset – et amendée par les Chambres fédérales – divise jusqu’à l’interne de son parti. La nervosité est donc à son comble.

Le conseiller fédéral a donc tenu à imposer sa réforme coûte que coûte, y compris en ayant recours à la médiocrité des arguments anxiogènes. Refuser la réforme de la prévoyance vieillesse? Allez-y, bon peuple, mais sachez qu’il n’y a pas de plan B. Les Socialistes chantent cette litanie à chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Ce mauvais refrain a également été utilisé par les défenseurs de la réforme de la fiscalité des entreprises, avec le résultat qu’on connait.

De la part du Conseil fédéral, nous serions en droit d’attendre un peu plus de hauteur dans la tenue du débat. Parce qu’aucun projet ne peut légitimement être défendu selon une logique de forcing. Une réforme ne s’impose pas par l’absurde, elle se défend d’après la justesse de ce qu’elle entend apporter au pays. De plus, la logique «pas de plan B» est malhonnête et fait abstraction de la résilience de notre modèle institutionnel.

La peur et ses différents ressorts ne seront jamais de bons arguments dans un système démocratique comme celui de la Suisse. Cela ne fait que cristalliser les oppositions, avec pour conséquence un sentiment de défiance à l’égard des autorités. A quoi cela sert de consulter la population si on ne lui laisse pas le choix? Les projets ont toujours des qualités et des défauts. C’est sur ces seuls éléments qu’il convient de débattre. Le corps électoral n’est pas un âne à qui l’on promet la carotte ou le bâton en fonction de ses décisions.

Si la réforme de la prévoyance vieillesse devait être refusée, il est évident que le Conseil fédéral fera tout ce qui est en son pouvoir pour revenir avec un nouveau projet. Bien sûr, une telle perspective comporte un délai supplémentaire, et peut avoir des conséquences fâcheuses. Mais ce qui est plus fâcheux encore, c’est de venir avec un projet et de le présenter comme inéluctable, faute de quoi ç serait le fichu chaos. Cette logique est détestable, parce qu’il y aura toujours la place pour une alternative. C’est ce que nous sommes en droit d’exiger de la part de nos représentants.

Gouverner, c’est prévoir. L’échec d’une réforme fait partie des scénarios que le Conseil fédéral, tout comme les partis, doivent anticiper. S’ils ne sont pas capables de convaincre le corps électoral du bienfondé de leur réforme, c’est à eux de se remettre en question. Sinon, autant dissoudre le peuple, puisque de toute façn, quel que soit l’enjeu sur lequel il est appelé à se prononcer, on le matraque de menaces, chantage et autres promesses d’apocalypse. Le nécessaire débat démocratique mérite mieux, beaucoup mieux.

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