La Suisse entame son déconfinement plus rapidement que prévu. De nombreuses activités économiques pourront reprendre dès le 11 mai, et parmi elles, les bars, les restaurants ou encore les centres de fitness dont la réouverture semblait encore floue il y a quelques semaines. Ce retour à une vie plus active est attendu avec impatience par beaucoup. A raison. La Confédération a accéléré le pas pour limiter les dommages économiques dont on sait qu’ils se chiffreront en milliards et auront pour conséquence des drames humains. Il faut apprendre à vivre avec le virus, a affirmé le conseiller fédéral Alain Berset lors de la présentation des décisions du gouvernement concernant le 11 mai.
La reprise des activités ne se fera toutefois pas sans la mise en place de mesures sanitaires pour limiter la propagation du coronavirus et maintenir ainsi son taux de reproduction le plus bas possible. Il s’agit non pas de reprendre une vie totalement normale, mais de cohabiter avec le risque, parce que le confinement ne saurait être une solution à moyen ou long terme. Ses conséquences sur l’économie et la santé des individus sont bien trop lourdes. Or, contrairement à d’autres pays, la Suisse persiste à ne pas recommander le port du masque dans toutes les situations. Certes, l’Office fédéral de la santé publique a déjà revu quelque peu sa position, puisqu’il invite les individus à porter le masque lorsque les règles de distanciation spatiale ne peuvent pas être observées strictement. Certaines activités économiques, comme les coiffeurs pour ne citer qu’eux, doivent également en porter un tout comme leurs clients. C’est une obligation.
S’agissant d’un port généralisé du masque, Daniel Koch, le Monsieur Coronavirus de la Confédération, continue à affirmer qu’il n’y a pas d’indications scientifiques solides permettant d’en garantir l’utilité. Cette déclaration fait polémique en Suisse romande, et il est difficile d’en soutenir la pertinence publiquement, sous peine d’être immédiatement rabroué, parfois même avec violence. Le masque est devenu chez une grande quantité de gens la solution indispensable à la reprise des activités. Et ces mêmes personnes attendent généralement du gouvernement qu’il rende le port du masque obligatoire.
Selon les défenseurs de cette mesure, les pays asiatiques ont l’habitude de l’utiliser et sont relativement épargnés par le coronavirus (même si le Japon entre autres exemples, où le port du masque est culturel, a finalement dû déclarer l’état d’urgence malgré un début d’épidémie qui semblait bien maîtrisé). Par ailleurs, il ne fait selon eux aucun doute que le masque est toujours une protection supplémentaire en toute situation, tout comme un pantalon protège des éclaboussures – argument lu sur les réseaux sociaux.
Les autorités, ainsi que des spécialistes, affirment au contraire que le masque est certes mieux que rien, mais qu’il ne saurait être la protection ultime dont il suffirait de se parer pour protéger tout le monde et se protéger soi-même. Il faut également le porter correctement, le remplacer suffisamment souvent selon le type de masques et éviter de se toucher le visage sans s’être lavé les mains au préalable avec du savon ou du gel hydroalcoolique, sans quoi son utilité est moindre pour ne pas dire nulle. Gouvernements et experts craignent de surcroît que le masque puisse avoir un effet paradoxal et devienne un argument pour ne pas respecter les autres gestes barrières au moins aussi importants que le masque pour limiter les contaminations. Les contradicteurs du Conseil fédéral considèrent quant à eux que le masque permet au contraire de rappeler aux gens que nous vivons une situation particulière et permet ainsi de mieux observer les règles ordinaires. Qui a raison, qui a tort sur ce point? Difficile à dire, les deux théories se valent, mais pour qui a déjà observé des gens porter le masque, il est clair que certaines personnes ont tendance à réduire la distanciation spatiale notamment dans les commerces, comme si elles étaient forcément mieux protégées.
On voit bien que les masques chirurgicaux ont une durée de vie très limitée, et ce sont les plus répandus. Malgré une augmentation de la production et un réapprovisionnement de la Confédération, le nombre de masques en circulation ne permet pas à chaque habitant de disposer d’une quantité suffisante pour le changer aussi souvent que nécessaire. Certains ne manqueront donc pas de le réutiliser, même si son efficacité dans de telles conditions semble réduite.
Pour beaucoup d’observateurs, la Confédération refuse d’imposer le port du masque parce qu’elle ne souhaite pas assumer son impréparation face au danger d’une pandémie. Et il est vrai que les stocks de masques étaient largement insuffisants. Ce reproche est donc fondé. Mais est-ce que le fait de ne pas obliger les gens à porter un masque protège réellement le Conseil fédéral de ses erreurs? Peu probable.
De même, les gens estiment que le Conseil fédéral avait jusqu’ici compté sur la responsabilité individuelle et l’intelligence des Suisses pour agir correctement. Or, pour le masque, il s’évertue à infantiliser les individus, considérant que son utilisation est compliquée. Pour beaucoup, mettre un masque est un geste simple et évident, et tout argument contraire est par nature irrecevable.
En quelques semaines, le masque est devenu une obsession à l’échelle de toute la société. C’est un sujet de conversation sur les réseaux sociaux mais aussi à l’extérieur. Beaucoup de personnes attendent du gouvernement qu’il impose le port du masque, ou du moins quelque chose permettant de se couvrir le visage. A tel point qu’on se demande si c’est vraiment la mesure elle-même qui est l’objet de cette passion, ou si le masque ne reflète pas aussi un enjeu plus psychologique, comme un élément rassurant dans ce paysage inédit, incertain, anxiogène. La distanciation spatiale semble efficace puisqu’en l’absence d’un port généralisé du masque, les contaminations ont pu être réduites drastiquement. Mais contrairement à la distanciation spatiale qui reste assez relative et à l’appréciation de chacun, le masque est visible.
En ces heures troublées où l’autre est devenu synonyme de danger pour la santé publique, le voir vêtu d’un masque permet sans doute dans l’inconscient collectif de réduire cette peur. Parce que les gens s’évitent, se toisent d’un air méfiant, et craignent d’être approchés de trop près. Le port du masque réduirait peut-être cette crainte, indépendamment de son efficacité réelle ou supposée. Quelqu’un vous passe à côté de trop près dans un magasin? Cela semblera sans doute plus acceptable si cette personne et vous-même portez un masque. L’impression d’être entouré d’un danger permanent s’en trouverait ainsi contenue.
Il y a fort à parier que la pression populaire concernant l’usage systématique du masque va augmenter au fur et à mesure. L’exemple de l’Allemagne, qui après une semaine de déconfinement, a vu son taux de reproduction du virus passer de 0,7 environ à près de 1,0 (il faut que ce chiffre soit en-dessous pour que le virus soit «maîtrisé»), met de l’eau au moulin des plus prudents. La crainte d’une deuxième vague est réelle et, apparemment, serait justifiée compte tenu des analyses de nombreux experts. Le Conseil fédéral ne le nie d’ailleurs pas. C’est la manière dont les gens se comporteront lors de la levée des mesures contraignantes qui déterminera s’il est possible de vivre avec le virus tout en conservant un maximum de libertés, ou si au contraire il faut limiter la circulation des individus pour protéger la santé publique. Le Conseil fédéral a choisi de croire en la responsabilité individuelle. Depuis le début, et il continue sur cette voie. C’est un pari, mais est-il bien plus risqué que ceux qui imposent le port du masque sans avoir les moyens d’en assurer une distribution suffisante et à des prix acceptables y compris pour les moins fortunés? Rien n’est moins sûr.
Là où le Conseil fédéral se montre incohérent, c’est dans la façon dont il recommande le port du masque, comme alternative lorsque les distanciations spatiales ne peuvent pas être observées. Alors même qu’il dit craindre que le port généralisé du masque donne aux gens un sentiment d’impunité face au virus, il envoie en parallèle le message que le masque est utile lorsque les autres gestes barrières ne peuvent pas être appliqués. Le masque devient ainsi l’ultime recours, alors même qu’il n’est finalement qu’un moyen parmi toute une batterie de mesures pour réduire la propagation du virus. A lui seul, il ne sert à rien. C’est en maintenant une distance suffisante entre les individus, en continuant à se désinfecter les mains et en limitant les réunions en trop grand nombre que l’on permettra à notre société de cohabiter avec le virus sans tomber dans une flambée des cas.
En définitive, le masque est le réceptacle des angoisses suscitées par cette crise sanitaire. Le gouvernement aura beau trouver tous les arguments possibles, expliquer avec pédagogie pourquoi il s’abstient de l’imposer, il ne réussira pas à convaincre les gens. C’est un enjeu plus émotionnel que rationnel. Le gouvernement finira-t-il par revenir sur sa position en donnant à la population un élément pour la rassurer? Si l’on en croit Alain Berset qui n’a eu de cesse de rappeler qu’il faut faire preuve d’humilité dans cette situation et ne pas hésiter à changer de position, c’est une hypothèse envisageable. D’autres pays ont fait ce pas avant la Suisse.
Une réponse sur “Le masque, un médicament contre l’angoisse des autres”
Non Grégoire, non! Pas vous…