Didier Burkhalter, ou l’emballement médiatique

L'annonce de la démission du conseiller fédéral a évidemment suscité une vague d'analyses journalistiques. Parfois quelque peu... précipitées.
Grégoire Barbey
A peine sa démission du Conseil fédéral annoncée, la personne de Didier Burkhalter faisait l’objet de toutes les analyses. Ainsi commande l’époque: l’information immédiate impose des commentaires immédiats. Il n’y a pourtant pas le feu au lac: le Neuchâtelois quittera ses fonctions au 31 octobre. C’est dire s’il reste du temps pour mûrir la réflexion sur son départ, et surtout sur son héritage.
Il est cependant difficile pour la machine médiatique de freiner son élan lorsqu’elle est lancée. Alors les invités s’enchaînent, les déclarations péremptoires des uns succèdent aux certitudes des autres. Son bilan? Quelques heures à peine après avoir annoncé sa démission, il est déjà tiré. C’est ainsi: il faut avoir quelque chose à dire constamment, quitte à revenir ultérieurement sur ses propos.
Didier Burkhalter était l’invité de l’émission de radio Forum sur la RTS pour s’expliquer sur sa décision. Ses propos étaient très intéressants, rappelant à ses interlocuteurs qu’il n’y a pas toujours du sensationnalisme à chercher dans chaque parole, chaque action, et qu’il faut parfois en revenir à la réalité, laquelle peut être très simple.
L’élu libéral-radical est un homme de convictions, ayant de la politique une vision malheureusement assez peu répandue. Son style a toujours été surprenant du point de vue médiatique. Un homme politique qui ne court pas après les projecteurs pour vanter chacune de ses actions? C’est en effet perturbant.
Ce n’était pas «un bon client» pour la presse, parce qu’il n’était pas de ceux qui se laissent dicter des comportements pour répondre à des formats médiatiques. Etait-ce pour autant un mauvais conseiller fédéral? A écouter ou lire certaines analyses depuis hier, on serait tenté de le penser.
Le ministre va occuper ses fonctions pendant encore trois mois. Ce qui lui laisse le temps de prendre encore quelques décisions. Marqueront-elles l’Histoire, comme se demandent tant de journalistes? Il faudra sans doute patienter quelques années pour répondre à cette interrogation légitime, quoi qu’un peu précipitée. Evidemment, le bilan du conseiller fédéral peut et doit même être critiqué, débattu, interrogé, mais pas dans le sillon émotionnel qui suit l’annonce de son départ.
«Les plus grands naissent posthumes», écrivait de son vivant le philosophe Friedrich Nietzsche. Cela vaut aussi en politique. Didier Burkhalter? C’est un style atypique, pas franchement en accord avec les convenances de la modernité politique. Pour l’heure, sa manière de faire lui est beaucoup reprochée. Mais qui sait, avec le temps, et surtout avec le recul nécessaire qu’impose une réflexion sérieuse et solide, on en viendra peut-être à regretter sa personnalité, dans un Conseil fédéral où le faire savoir semble être plus important que le savoir faire.
Enfin, qu’importe. Le temps médiatique étant ce qu’il est, on ne parlera bientôt pratiquement plus de Didier Burkhalter, pour ne laisser place qu’à une seule interrogation: qui le remplacera? Ainsi en va-t-il de la politique. Servir son pays n’est pas toujours récompensé à sa juste mesure. Le Neuchâtelois retournera donc dans l’ombre en fin d’année. Il a raison, l’ombre étant sans doute moins capricieuse que ne peut l’être la lumière des projecteurs.
Bon vent à lui.

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5 réponses sur “Didier Burkhalter, ou l’emballement médiatique”

  1. Merci pour votre article. Un des rares commentaires intelligents et réfléchis au sujet du départ de M. Burkhalter. C’est malheureusement ainsi en suisse: un personnage hors cadre est toléré, pour autant qu’il alimente la machine médiatique. M. Burkhalter pas à la bonne hauteur ? C’est sans doute vrai vis à vis des médias en général, et peut être de certain de ses collègues.

    1. Bravo et merci pour votre pertinent article .
      Nous ne pouvons que remercier bien chaleureusement le courage et l’abnégation dont a fait preuve M. Burkhalter pour propager une Suisse ouverte au monde malgré les pots cassés…. d’un certain mois de février .
      un Homme trop Loyal, trop humain. je lui souhaite tout le meilleur possible .

  2. Une époque « oC9 le faire-savoir semble plus important que le savoir-faire »… je ne sais pas si c’est de vous…Mais dans tous les cas félicitations pour cet article et cet analyse sur les médias et la politique que je partage entièrement quel que soit le bilan de D. Burkhalter.

  3. Excellent papier, merci ! …
    Perso je qualifierais le personnage de « politicien de droite avec une sensibilité de gauche bien neuchâteloise ! » / et aussi  » d’un type impeccable et droit dans ses bottes ».
    A moi en tout cas, il va me manquer … j’avoue que j’avais un peu de peine au début de son mandat (car peu charismatique et trop réservé à mon goût); aujourdbhui, j’aurais largement, préféré que d’autres conseillers (bien moins compétents et honnêtes) quittent le bateau.
    Merci pour tout Didier ! (avec une petite larme au coin de lbEil).

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