Céline Amaudruz et le terrorisme intellectuel

La conseillère nationale (UDC/GE) s'est illustrée par des propos pour le moins excessifs à l'égard des musulmans.
Grégoire Barbey

La conseillère nationale genevoise et vice-présidente de l’UDC Suisse Céline Amaudruz s’est fendue d’un texte particulièrement révoltant sur une plateforme d’extrême droite que je ne citerai pas. Intitulé «L’Islam psychiatrique, d’un amalgame à l’autre», l’article de l’élue genevoise dénonce l’attitude des autorités européennes qui selon elle cherchent à dédouaner systématiquement l’islam lorsque des attentats sont commis par des gens qui se réclament de cette religion. «Hélas pour les tenants de la ligne munichoise, les cas isolés devinrent si fréquents qu’il devint de moins en moins simple d’endormir le bon peuple en camouflant l’ennemi derrière de belles paroles», écrit Céline Amaudruz. Sans surprise, l’élue UDC cherche à opposer le «peuple» aux autorités et au pouvoir politique en place. L’entourloupe est connue. Elle n’en demeure pas moins fausse. En effet, ayant suivi les développements tout au long de la tragique nuit du 14 juillet à Nice, lorsqu’un individu «inconnu des services de renseignement» a tué plus de 80 personnes au moyen d’un poids lourd, il m’est déjà possible d’infirmer le postulat de départ de Céline Amaudruz. Lors de sa déclaration à la nation française vers 4h du matin, le président de la République François Hollande a immédiatement nommé l’ennemi, alors même qu’il n’y avait encore à ce moment-là aucune certitude sur les motivations du tueur (motivations qui seront confirmées plus de vingt-quatre heures après les faits tragiques). Durant cette déclaration, donc, le président socialiste n’a pas pris de gant et a martelé: «C’est toute la France qui est sous la menace du terrorisme islamiste». La journée du 15 juillet a été marquée par des affirmations similaires de la part du gouvernement, notamment en la personne de Manuel Valls. Pourtant, le profil de l’auteur de l’attentat demeurait, en tout cas publiquement, incertain.

Cette logique a été suivie par les autorités allemandes puisque l’Allemagne a également connu quelques jours après les événements funestes du 14 juillet son lot d’attentats. La police a systématiquement précisé qu’elle privilégiait la piste terroriste, sous-entendue au nom d’un islam radical et fanatique. Malheureusement, ces faits ont apparemment échappé à la vigilance de la conseillère nationale Céline Amaudruz. Sinon elle n’aurait jamais prétendu que les autorités veulent enfumer «le bon peuple». A moins que le faire croire fasse partie du climat politique qu’elle et son parti tentent d’instaurer en Suisse (avec un certain succès, il faut l’admettre). L’élue reproche ensuite dans son texte la propension qu’ont les autorités à parler d’actes commis par des déséquilibrés. Là encore, l’idée sournoise, clairement assumée, est de nommer l’ennemi sans chercher à comprendre les facteurs qui conduisent des individus à agir de la sorte. Oui, pour Céline Amaudruz, il ne s’agit pas de malades mentaux, mais simplement des djihadistes qui ne font qu’appliquer les préceptes de leur religion. En résumé, ce n’est pas un problème individuel qui pousse des hommes à se donner la mort en emportant le plus de victimes dans leur sillage, mais bel et bien la religion musulmane. Le raccourci est un peu gros et malhonnête.

Le profil de ces personnalités malades est effectivement assez bien décrit depuis que l’Europe est la cible toujours plus régulière d’attentats commis au nom d’un Islam vengeur et radical: ce sont bien souvent des délinquants de droit commun, ayant en général (mais pas toujours) des liens avec l’Islam sans pour autant l’avoir pratiqué par le passé, et s’étant radicalisé seul ou à travers le prêche d’acteurs extérieurs. Bien sûr, rien ne dédouanera jamais ces gens qui ont tué des dizaines de personnes au nom d’une idéologie destructrice. Toutefois, pour nommer l’ennemi, anticiper ses actions, il faut déconstruire son identité, tenter d’approcher au plus près de ce qu’il est, il faut donc comprendre les facteurs qui le poussent à agir ainsi. Comprendre, contrairement à ce que pense le premier ministre français Manuel Valls, ce n’est pas excuser. C’est simplement une manière d’identifier un ennemi qui est potentiellement partout et nulle part à la fois. Il ne s’agit pas d’une guerre traditionnelle, parce qu’il n’y a pas de lignes de front à proprement parler. Et l’ennemi peut entrer en Europe parmi les flux de réfugiés tout comme il peut déjà être sur le territoire où il commettra son acte morbide et meurtrier.

Si la nuance est de mise pour qui veut être le plus à propos sur ce sujet compliqué, Céline Amaudruz n’en fait pas grand cas, elle qui écrit: «Nous sommes ainsi passés du lien entre islam et terrorisme à islam et maladie psychiatrique. Sans l’avoir voulu, les promoteurs du moyen-âge ont mis le doigt sur un élément qui commençait à apparaître, à savoir le grand nombre de migrants nécessitant des soins spécialisés dans ce domaine». Comme si cela ne suffisait pas, elle rajoute: «Le phénomène est tel qu’en Suisse, le nombre de psychiatres est très largement insuffisant pour gérer l’arrivée de ces dizaines de millier de jeunes gens qui ne sont donc plus djihadistes mais mal portants du cerveau. (…) Du coup, les migrants ayant choisi de semer la désolation chez nous sont simplement des êtres traumatisés par les horreurs de la guerre, la fuite et l’accueil à tout le moins hostile de leur pays d’accueil». La conseillère nationale UDC n’hésite donc pas à sous-entendre que tous les requérants d’asile sont potentiellement des terroristes puisqu’une part importante de ces personnes fait l’objet d’un suivi psychiatrique. J’emploie le terme «requérants d’asile» à dessein. Ce terme me paraît en effet plus juste que «migrants», lequel englobe tout et son contraire et contribue à semer la confusion dans les esprits. A priori, lorsqu’une personne demande l’asile, il s’agit potentiellement d’un réfugié. Or, comme elle le fait plus loin dans son texte, Céline Amaudruz cherche à embrouiller ses lecteurs en affirmant: «Ce parcours standard fait de ces personnes des bombes en puissance que nous pourrions désamorcer en leur consacrant plus d’argent. Cette nouvelle explication ne tient pas mieux que les autres. En effet, nombre d’auteurs résidaient depuis longtemps voire étaient nés dans le pays où ils ont frappé. D’autres, trop nombreux, nous arrivent de pays qui ne sont pas en conflit, juste attirés par la richesse qui leur est généreusement distribuée». En somme, la Suisse accueille trop de personnes qui ne sont que des migrants, c’est-à-dire des personnes qui quittent leur pays sans impératif ni contrainte relevant des critères qui permettent de prétendre au statut de réfugié selon la Convention de Genève. Le ressort est connu: sous une prétendue volonté d’améliorer la sécurité du peuple, il s’agit de semer dans les esprits le trouble quant aux véritables motivations des êtres humains qui viennent trouver refuge en Europe.

Alors qu’un esprit humaniste partirait d’abord du principe que ces gens ont vécu l’horreur et méritent d’être traités dignement tant qu’aucune décision d’octroi du statut de réfugié ou de renvoi n’a été donnée, la logique de Céline Amaudruz et plus largement de l’UDC consiste à faire de tous les requérants d’asile de potentiels tricheurs, profiteurs du système social suisse, voire européen. Bien sûr, il ne faut pas cacher la vérité: il y en a aussi. Mais une décision de renvoi frappant un requérant ayant demandé l’asile en Suisse ne fait pas systématiquement de lui un migrant traditionnel cherchant simplement à améliorer sa situation économique. Les critères d’octroi se sont particulièrement durcis ces dernières décennies, et l’UDC, pour ce qui est de la Suisse, en est particulièrement responsable. En Europe, de nombreux pays adaptent l’application de la Convention de Genève comme cela les arrange afin de surfer sur une opinion publique plutôt défavorable à l’accueil des réfugiés dans un climat de montée des nationalismes européens. Bref, la tactique de Céline Amaudruz, qui apparaît noir sur blanc dans son texte, ne date pas d’hier. C’est un vieux discours qui continuera d’être récité tel un catéchisme pour tous ceux qui voient dans l’étranger un danger potentiel pour la nation.

Ces habituelles manœuvres pour semer la confusion dans les esprits semblent devenues normales. Il faut pourtant les combattre, si possible avec des faits, pour empêcher cette idéologie d’extrême droite de contaminer les esprits, tout comme il faut empêcher l’idéologie mortifère d’un islam vengeur de prospérer et de toucher toujours plus d’individus. En effet, le propre des idées fanatiques est de conduire à l’excès. A tel point que Céline Amaudruz affirme dans son pamphlet factuellement lacunaire ce sophisme brutal, violent, indécent: «Tous les musulmans ne sont pas terroristes mais tous les terroristes sont musulmans et s’en flattent». Cette phrase porte en elle les germes de la violence de l’idéologie de l’UDC Le terrorisme islamiste tue effectivement plus que les autres formes de terrorisme en Europe. Mais tous ceux qui ont commis des attentats depuis le 11 septembre 2001 ne sont pas systématiquement musulmans, et s’ils le sont, n’agissent pas nécessairement au nom de l’Etat islamique. Bien au contraire. C’est le cas notamment de ce jeune germano-iranien né en Allemagne qui a tué près d’une dizaine de personnes à Munich le 22 juillet dernier et qui vouait un culte à Adolf Hitler et à un autre terroriste de masse, le Norvégien Anders Breivik, qui, triste souvenir, avait abattu 77 personnes le 22 juillet 2011. La presse évoquait même il y a encore une semaine que le tueur de Munich s’était récemment converti à la religion chrétienne (information qui n’a pas été confirmée ni infirmée à ma connaissance). Bref, le texte de Céline Amaudruz relève d’une certaine forme de terrorisme intellectuel visant à rendre ses concitoyens systématiquement méfiants à l’égard des musulmans. Et donc à l’égard de ceux qui semblent originaires des pays d’où proviennent en général les musulmans. Heureusement, il y a encore des personnes qui savent que l’islam est une religion qui peut être pratiquée, comme peut l’être le christianisme, sans nuire à personne. Ce n’est pas parce qu’il y a un courant extrémiste qui sème la mort en revendiquant être le bras armé du Coran qu’il faut mélanger tous ceux qui puisent leurs valeurs dans ce livre.

Grégoire Barbey

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