Hommage à L’Hebdo, le combat continue

La fin de L'Hebdo décidée par Ringier ne doit pas faire oublier que la lutte pour un journalisme de qualité n'est pas encore remportée.
Grégoire Barbey

L’Hebdo, c’est fini. Ainsi en a décidé Ringier. Mais que les lecteurs et autres amoureux de la diversité de la presse se rassurent: cela permettra d’investir davantage dans Le Temps. Nous sommes donc sains et saufs. Ou pas. Qu’on le veuille ou non, la disparition de ce grand magazine est un coup porté à la qualité de notre presse romande. Je prends à témoin tous ceux qui, surtout du côté de l’extrême droite, se frottent déjà les mains. Et oui, bien que je n’ai pas toujours été d’accord avec la ligne éditoriale de L’Hebdo, il donnait la parole à des idées, à des visions du monde qui pourraient manquer en son absence. Trop à gauche, trop européen, trop tout, voici ce qu’en disent déjà ceux qui pissent gaiement sur la tombe de ce média. N’est-ce pas là un signe Ô combien révélateur de la symbolique que représente cette disparition? Oui, L’Hebdo faisait la démonstration d’une ligne éditoriale franche, assumée, et revendiquait sa dimension profondément engagée. L’opinion, un gros mot aujourd’hui dans la profession journalistique, avait au moins le mérite de vivre à travers ce titre. Combien de médias aujourd’hui assument ce rôle? Très peu. Trop peu. Parce qu’il semble acquis que la presse ne peut être d’une obédience, d’un parti, d’une idée. Or donc, il vaut mieux se donner des airs d’observateurs qui font semblant de pas y toucher.

Oui, navré de décevoir nos grands démocrates, mais avec la mort de L’Hebdo, c’est un peu de cet idéal, de cette part historique de la presse qui s’en va. On peut être en désaccord avec un journal. C’est même nécessaire, car cela implique de développer son esprit critique. Quand une ligne dérange, c’est qu’elle suscite en nous des questionnements. Winston Churchill disait que lorsque deux hommes sont toujours du même avis, il y en a un qui est de trop. La presse, c’est exactement cela. Ne pas se contenter du convenu, ne pas informer pour plaire, mais le faire avec la certitude que l’on apporte quelque chose à la société, aussi discret que cela puisse paraître. Nous, et je crois que nous sommes plus nombreux qu’il n’y paraît, nous n’attendons pas de la presse qu’elle ne nous montre que ce que nous souhaitons voir, qu’elle utilise des mots que nous comprenons, qu’elle tienne le langage qui soit le nôtre. Non, ce que nous voulons, par-dessus tout, c’est une presse qui élève la pensée, qui sublime la contradiction, qui nourrit la liberté de penser. Et notre époque est bien pauvre en la matière, que cela soit ici ou ailleurs. Avec L’Hebdo, il y avait cette dimension si importante, celle qui nous donne envie de dire que nous ne sommes pas d’accord. Car ceux qui se réjouissent de la disparition de ce magazine doivent avoir bien peu foi en leur vision du monde pour se sentir en danger face à des idées différentes.

L’argent est une fois de plus vainqueur. Il n’y a pas d’espérance à avoir dans notre profession, tel est le message envoyé par cette triste nouvelle. Mais la société du rendement financier n’est pas seule à remporter une victoire. Non. Ceux qui justement détestent le débat, la réflexion et tout ce qui s’en suit, voient dans cette nouvelle une avancée majeure dans la bataille pour leurs idées. Pour ces gens, un journal qui pense, et plus encore qui pense différemment, est coupable du crime par-devant tous les crimes. C’est ainsi que l’on repère les fanatiques, qu’ils soient religieux ou politiques, car il y a bien une part de foi dans les idées, comme il y a la foi dans le domaine spirituel. Mais l’un et l’autre se nourrissent du doute, de l’interrogation. Et les fanatiques, les extrémistes, n’ont justement pas le même rapport vis-à-vis des idées politiques ou spirituelles. Ils ont besoin, pour se rassurer, d’un monde uniformisé, d’un monde lisse, qui fasse toujours écho à leur monde intérieur où il n’y a guère la place pour des réflexions profondes. L’Hebdo, sans le savoir, démontre à quel point notre société est malade en matière d’esprit critique. Mais qui, aujourd’hui, dans la profession ou la société civile, s’en offusquera au point de partir au combat le poing levé? A l’heure où le président des Etats-Unis himself déclare que les journalistes sont parmi les êtres humains les plus malhonnêtes qui soient, il est difficile d’imaginer une mobilisation contre la destruction de notre patrimoine médiatique. Nous vivons une bien triste époque.

Alors je veux dire à tous ceux qui sont concernés par la disparition de L’Hebdo, particulièrement aux collaborateurs de ce média, combien je suis touché par cette annonce. Je souhaite à toute l’équipe bien du courage dans cette période Ô combien difficile. Et je les remercie vivement pour le travail accompli, parfois dans la douleur, souvent avec la certitude d’apporter un bien inestimable à la société. Nous ne laisserons pas les médias disparaître les uns après les autres, nous ne nous soumettrons jamais à la perspective d’une presse uniformisée, soumise, silencieuse, résignée, et aussi longtemps que l’humain vivra, il y aura pour cette presse de combat un espoir, une volonté, un langage. Puisse la disparition de L’Hebdo réveiller quelques consciences. Qu’au moins, les sacrifiés du rendement ne le soient pas en vain. Merci encore.

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