Le journaliste et dessinateur de presse Patrick Chappatte a dénoncé sur son site la décision du New York Times d’abandonner les caricatures politiques dans son édition internationale. Selon Patrick Chappatte, cette décision est la conséquence de la polémique qui a fait suite à la publication d’une caricature du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou par un dessinateur portugais fin avril. Le dessin a été jugé antisémite. Et bien qu’il ne s’agissait pas directement d’un choix éditorial du New York Times – comme l’explique CNN – et donc qu’aucun dessinateur officiel du célèbre journal n’était impliqué, le scandale a contraint le quotidien international à stopper la publication de dessins syndiqués.
Si le New York Times tente de circonscrire l’incendie en affirmant que l’édition internationale du journal ne fait qu’appliquer la politique éditoriale de l’édition domestique – qui ne contient pas de caricatures politiques –, le constat n’en demeure pas moins amer. La caricature politique est étroitement liée à la liberté de la presse. La décision de cesser de publier des dessins de presse est donc lourde de conséquences. C’est un funeste message envoyé au monde. La peur de la polémique induit l’autocensure, au mépris même des principes fondateurs de la profession.
C’est ce qui arrive quand la presse n’est plus dirigée par des journalistes mais par des experts en gestion d’image. C’est la conséquence d’une presse qui s’est peu à peu reniée en s’abandonnant au «management moderne», faisant de son œuvre pour le bien commun une «marque», un «produit de consommation» comme un autre. On gère de nos jours le New York Times comme on gère l’image de Google ou de n’importe quelle autre entreprise. Triste époque.
Alors que l’hygiénisme ne cesse de prendre le pas sur la société, que la moindre sortie des sentiers battus est vécue comme un drame sociétal, la mission de la presse est de résister. De ne jamais reculer sur les principes qui en font non pas un travail comme un autre mais une mission, un devoir envers l’humanité. Lorsque le ciel s’assombrit, la presse doit faire de son mieux pour l’éclairer grâce aux forces de l’esprit.
Nous vivons certes une époque où l’on aimerait bien que le journalisme d’opinion n’existe pas. Où toute tentative de remettre en question les décisions des pouvoirs en place revient à s’attirer les foudres d’une certaine intelligentsia qui a fait du suivisme son modèle de pensée. Mais la caricature politique fait partie des genres journalistiques qui permettent non seulement d’informer, mais également de relativiser et de donner à réfléchir. C’est d’ailleurs là que réside tout le talent de Patrick Chappatte, car qui l’a déjà lu ou écouté sait qu’il ne conçoit pas son rôle de dessinateur comme d’une activité sans responsabilité.
La décision du New York Times est révoltante et jette l’opprobre sur tout un pan de l’activité journalistique. Nous sommes à l’ère d’un monde binaire, dont on résume les enjeux par le noir et le blanc. Dans ce marasme de la pensée contemporaine, le rôle sinon le devoir de la presse est de faire rayonner les nuances, de faire triompher la recherche de la vérité quand d’autres tentent de simplifier à outrance pour galvaniser les haines et les colères de l’humanité. La caricature politique n’a ni plus ni moins de valeur qu’un autre genre journalistique.
Ce reniement est également une insulte et un déshonneur pour toutes celles et ceux qui ont tout risqué pour continuer à défendre la caricature politique. Certains en ont payé le prix le plus fort, comme ce fut le cas dans l’attentat contre Charlie Hebdo. D’autres ont perdu leur liberté, ont connu la torture parce qu’ils ont simplement défendu une liberté essentielle dans des pays où l’on ne fait pas grand cas de l’intégrité humaine.
Si le New York Times peut se débarrasser du dessin de presse comme d’un mauvais risque, qu’est-ce qu’il l’empêcherait d’en faire autant plus tard avec l’investigation, le reportage, ou le commentaire? Si c’est la gestion de l’image qui détermine les engagements d’un journal aussi important, alors c’est toute la presse qui est en deuil par cette funeste décision.
Une réponse sur “Caricatures politiques: l’insupportable injure du «New York Times»”
« On gère de nos jours le New York Times comme on gère l’image de la Coop ou de n’importe quelle autre entreprise. »
J’aurais choisis une entreprise un peu plus international, au cas où tu serait lu en dehors de la Suisse.
#My2cent