La Suisse n’est pas le sultanat d’Erdogan

Les velléités de contrôle des ressortissants turcs en Suisse par le pouvoir du sultan Erdogan sont inadmissibles.
Grégoire Barbey

Le président turc Recep Tayyip Erdogan n’est pas content: des symboles du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, mouvement considéré comme terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis, mais pas par la Suisse) étaient visibles lors d’une manifestation de l’opposition au pouvoir turc samedi à Berne. Une banderole, appelant à tuer Erdogan avec les mêmes armes que les siennes, a également suscité la colère de la diplomatie turque. En pleine campagne nationale pour faire adopter par son corps électoral une réforme constitutionnelle visant à augmenter (encore) ses pouvoirs présidentiels, Recep Tayyip Erdogan ne recule devant rien pour défendre son projet. N’est-ce pas lui qui a récemment dit d’Angela Merkel, chancelière allemande, qu’elle se livrait à des «pratiques nazies»?

En tous les cas, le président Erdogan, dont l’attitude de plus en plus dictatoriale ne dupe personne, exige de la Suisse des poursuites judiciaires à l’encontre des manifestants incriminés par Ankara. De surcroît, la Turquie a elle-même ouvert une procédure… pour des faits qui se sont déroulés dans un pays étranger! Ce n’est pas la première fois que la Turquie se livre à de telles pressions inacceptables à l’encontre d’un Etat souverain. En effet, la Suisse dispose d’une importante diaspora turque (100’000 personnes), ce qui pousse le pouvoir turc à s’intéresser de près à ce petit pays. L’année dernière, la diplomatie turque avait déjà choqué par son ingérence lorsque l’ambassadeur turc à Berne s’est permis de menacer les ressortissants turcs en Suisse de poursuites judiciaires s’ils s’adonnaient à l’opposition politique.

Il ne faut pas se leurrer: la Suisse, par la taille de sa diaspora turque, représente un élément stratégique important pour Recep Tayyip Erdogan. Le ton monte du côté turc et cela ne relève nullement d’un malheureux hasard. Tout cela est savamment calculé, et il importe à la Suisse de ne pas céder aux pressions d’Ankara, dont les prétentions sont complètement farfelues. Que l’Union européenne, à travers ses Etats membres, n’ose tenir un discours de clarté contre la politique du gouvernement turc et ses déclarations inadmissibles se comprend au regard du mauvais deal qu’elle a passé avec la Turquie en matière de répartition des réfugiés… Mais la Suisse n’est pas prise à la gorge par un quelconque traité démesuré avec cet Etat aux pratiques de plus en plus tyranniques et se doit dès lors de remettre fermement les pendules à l’heure. La diplomatie turque n’a en aucun cas le droit d’exiger quoi que ce soit de la Suisse à l’égard de personnes qui vivent légalement sur son territoire.

Espérons que la clarté du langage diplomatique suisse calmera un peu les ardeurs de Recep Tayyip Erdogan, qui semble déjà se croire sultan dans le monde entier. En tous les cas, les regards sont tournés vers Berne, et toute impression de soumission ne pourrait être que mal interprétée à travers le prisme de l’histoire. Car si Erdogan réussit à faire passer sa réforme constitutionnelle, son pouvoir aura la mesure de ses prétentions, et il n’y a vraiment pas de quoi s’en réjouir.

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