«Quarantaine»: un livre avant tout électoraliste

L'ouvrage du ministre genevois Pierre Maudet, candidat à sa propre réélection, est surtout la démonstration de sa capacité à faire abstraction de la tempête pour se concentrer sur sa campagne.
Grégoire Barbey

Le livre politique est une pratique incontournable en France et semble peu à peu se répandre en Suisse francophone. Ce n’est donc pas par hasard si le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet, en pleine campagne pour sa réélection à la faveur d’une partielle qu’il a provoqué par sa propre démission, s’est essayé à l’exercice. Quarantaine, chronique d’une crise annoncée est paru aux Editions Cabédita en janvier 2021. Par souci de transparence, l’auteur de ces lignes précise que l’ouvrage lui a été envoyé par Pierre Maudet lui-même.

Ce livre tient sur une centaine de pages et ne fait pas mystère de ses intentions. Bien que Pierre Maudet s’essaie à un exercice de remise en question, il n’aborde ce thème qu’en surface, et l’essentiel du propos consiste surtout à dérouler son diagnostic des enjeux politiques actuels, et des réponses qu’il souhaite apporter à la crise sanitaire, sociale et économique provoquée par la pandémie. En pleine campagne, ce n’est pas surprenant, et pourtant, l’analyse reste également superficielle, voire carrément brouillonne par endroit.

On y découvre un Pierre Maudet favorable à la taxation des transactions financières, à un revenu de base ciblé et temporaire pour les jeunes, à l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toits de Genève pour répondre au défi climatique… Nombre des propositions faites dans l’ouvrage ne seraient pas immédiatement réalisables, et certaines sont plutôt du ressort de la Confédération.

En fait, si on lit ce livre à travers les lignes, on y retrouve tout le génie politique de Pierre Maudet. Il faut rappeler que l’élection partielle dont le premier tour se tient le 7 mars 2021 est la conséquence de sa démission. C’est parce que ses collègues lui ont retiré son département, après avoir commandé et reçu les conclusions d’un rapport sur les ressources humaines dudit département faisant état d’une grande souffrance chez ses collaborateurs, que Pierre Maudet a décidé de se représenter devant la population. Selon lui, seul le peuple peut défaire ce qu’il a fait.

Génie politique, donc. Mais pourquoi? Il y a surtout une forme de cynisme dans le calcul de Pierre Maudet. Car ce livre est le fruit d’un calcul, tout comme l’est sa fameuse permanence qu’il tient à disposition des Genevoises et des Genevois qui souffrent des conséquences de la crise sanitaire et à qui il offre une oreille attentive. Privé de parti politique, parce qu’il a été exclu des rangs des libéraux-radicaux, il ne peut plus s’appuyer que sur lui-même pour occuper le terrain et convaincre les indécis. Dans le microcosme politique genevois, on se tape volontiers sur l’épaule et on rigole face à cet homme si borné qui croit en ses chances d’être réélu alors que tout le monde le donne perdant du fait de son mensonge concernant son voyage à Abu Dhabi. Mais si le mensonge semble pratiquement unanimement condamné par les personnes engagées en politique, qu’en est-il au sein de la population?

On peut raisonnablement penser que Pierre Maudet fait face à des électeurs qui le soutiendront quoi qu’il arrive, peu importe l’issue du volet judiciaire de son affaire, et d’autres qui ne voteront pour lui sous aucun prétexte, écœurés par son attitude. Et puis, il y a ceux pour qui ces mensonges – car il y en a eu plusieurs – ne sont pas rédhibitoires. Avec la crise sanitaire, cette proportion d’électeurs indécis a peut-être même augmenté. Aujourd’hui, les gens veulent surtout retrouver des perspectives dans leur vie quotidienne. Ils seraient peut-être prêts à voter pour quelqu’un qui leur paraît apte à répondre aux défis qui se posent désormais. Et c’est sur ce terrain-là que Pierre Maudet a orienté tout son marketing politique.

As de la communication, il verse depuis lors allègrement dans une forme de populisme, ne cessant de mettre en avant les gens qui souffrent des fermetures économiques, parce qu’il sait qu’il peut potentiellement faire la différence sur ce terrain. En bon vendeur, Pierre Maudet oriente son produit vers la part de marché qui pourrait lui octroyer le plus de bénéfices. Et il n’hésite pas à utiliser sa propre souffrance, réelle, de son parcours des trois dernières années pour démontrer que celle des autres lui importe.

Ce n’est pas par hasard si Pierre Maudet n’a eu de cesse de rompre la collégialité ces derniers mois, de commenter l’action du gouvernement comme s’il n’en était qu’un simple observateur, ce même gouvernement auquel il appartient toujours. Comme disait le célèbre diplomate français Charles-Maurice de Talleyrand, «le meilleur moyen de renverser un gouvernement, c’est d’en faire partie». Quand bien même il affirme avoir tiré les leçons de ses mésaventures, du danger de se perdre dans le pouvoir et de se montrer par trop orgueilleux, Pierre Maudet continue de jouer en filigrane la carte de l’homme providentiel, celui qui peut, dans un collègue à sept membres, faire la différence, malgré les contingences politiques du moment.

Il faut admettre que cela demande du cran, et un grand recul, que de pouvoir continuer à multiplier les stratégies en pleine tempête. Pour cela, on peut reconnaître à Pierre Maudet une force de caractère qui sort du commun, quoi qu’en pensent ses adversaires les plus farouches. Mais est-ce que cet ultime pari réussira? Impossible à dire, tant cette campagne est étrange. Les autres candidats font preuve d’une grande réserve à l’égard de Pierre Maudet, tout en menant des campagnes plus discrètes, plus consensuelles. C’est un choix compréhensible, mais ça permet aussi à l’intéressé d’occuper le terrain. Les électrices et les électeurs préféreront-ils donner leur voix à un profil plus mesuré, plus consensuel, alors que le canton sort de plusieurs années de crise institutionnelle à cause de l’affaire Maudet? En pleine crise, il ne serait pas impossible que certains se laissent tenter par les promesses d’un candidat qui n’a plus rien à perdre mais qui, s’il devait être réélu, ne dit rien dans son livre de la façon dont il pourra continuer à gouverner avec des collègues qui ont perdu à ses yeux toute crédibilité. Sa réélection ne ferait que provoquer une crise supplémentaire dans la crise.

En définitive, c’est surtout la conclusion de cet ouvrage qui est intéressante. C’est là que Pierre Maudet lève un peu le voile sur lui-même et tente de se livrer. Malheureusement, cela ne tient que sur deux pages, et s’il a tenté de faire apparaître l’homme dans ce livre, on en retient surtout l’animal politique qui transparaît dans chaque page. Il ne s’agit donc que d’un ouvrage ayant pour objectif de servir de programme électoral, un programme malheureusement vague et dont l’essentiel vise surtout à attirer les déçus de la crise sanitaire. Les urnes genevoises diront si ce dernier calcul politique de Pierre Maudet s’avère payant.

 

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