Le tabou du financement de la vie politique a la peau dure

Le verdict tant attendu dans le procès du conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet ne tient pas toutes ces promesses. Mais est-ce de la responsabilité de la justice que de tracer les limites des pratiques acceptables en matière de financements électoraux? Analyse.
Grégoire Barbey

Le verdict tant attendu est tombé lundi 22 février: le conseiller d’Etat Pierre Maudet a été condamné pour acceptation d’un avantage à une peine de 300 jours-amende à 400 francs avec sursis et doit s’acquitter d’une créance compensatrice de 50’000 francs envers l’Etat de Genève. Ainsi en a décidé la présidente du Tribunal de Police dans son jugement de première instance. Le ministre toujours en exercice et candidat à sa propre succession a déjà annoncé son intention de faire recours. Au-delà de la personnification outrancière de cette affaire, avec un Pierre Maudet qui ne rechigne pas non plus à en faire une tribune pour sa propre campagne électorale, ce dossier était avant tout le procès d’un système: celui des jeux d’influence et de l’argent, des soutiens électoraux avec l’espoir d’un retour d’ascenseur.

Et si l’on s’en tient à cet enjeu seulement, plutôt qu’au seul sort de Pierre Maudet, le moins que l’on puisse dire est que ce jugement ne révolutionnera pas les pratiques en matière de financement de la vie politique. Pour rappel, Pierre Maudet était accusé par le Ministère public d’acceptation d’un avantage dans le cadre de son voyage payé par la couronne d’Abu Dhabi, dont le montant a été évalué à 50’000 francs, mais aussi pour avoir obtenu 34’000 francs pour un sondage électoral par les mêmes deux amis qui ont intercédé en sa faveur pour son luxueux voyage.

La présidente du Tribunal de Police n’a pas retenu les griefs concernant le sondage, parce qu’une telle pratique ne viole pas les lois en vigueur. Par contre, en acceptant de se rendre à Abu Dhabi grâce à l’entremise de ses deux compères, Pierre Maudet est reconnu coupable d’acceptation d’un avantage.

Comme le relève avec justesse le média Heidi.News dans un article consacré à l’aspect du financement de la vie politique, le Ministère public a de lui-même renoncé à maintenir ses accusations concernant le financement de la campagne de Pierre Maudet par le groupe hôtelier Manotel, malgré des échanges de message qui laissent supposer une forme de copinage et, à tout le moins, de potentiels retours d’ascenseur, puisque l’intéressé écrivait ainsi au patron du groupe Manotel, Paul Muller: ««Cher Paul, Comme je te l’ai dit jadis, je sais pouvoir compter sur toi en toutes circonstances; la réciproque est vraie».

Pierre Maudet a bien entendu le droit d’avoir des amis, et il n’est pas ici question d’affirmer qu’il a nécessairement écrit ces mots parce qu’il se sentait redevable des soutiens financiers de Manotel. Mais comme le relève Heidi.News, le procès a finalement évité d’ouvrir la boîte de Pandore quant aux limites du financement de la vie politique. En Suisse, malgré de nombreux rapports d’organisations non-gouvernementales qui soulignent l’opacité du système, les financements électoraux ne font pas l’objet d’une réglementation stricte. Seuls certains cantons, dont Genève, ont introduit quelques règles dans leur législation, sans pour autant modifier en profondeur les pratiques.

Il en ressort en définitive un jugement pour le moins paradoxal: à cause de l’intervention de ses deux amis pour qu’il puisse être invité à Abu Dhabi, Pierre Maudet est reconnu coupable d’acceptation d’un avantage, parce qu’il prenait le risque d’être influençable. Par contre, lorsque ces deux mêmes compères ont versé 34’000 francs sur le compte de son association de soutien pour le paiement d’un sondage électoral, l’acceptation d’un avantage n’est pas retenue, et l’on se dit que dans le cas d’espèce, recevoir de l’argent dans le cadre d’une campagne semble effacer comme par magie tout risque d’être redevable. Quand bien même les nombreux messages de sollicitation de l’un de ses amis, après le voyage à Abu Dhabi et le financement du sondage, laissent à penser que ces bienveillances étaient surtout intéressées.

Quand commence une campagne? Peut-on recevoir de l’argent de n’importe qui, pour n’importe quel montant, sans même d’ailleurs au moins en avertir son parti, à défaut d’être transparent envers les électrices et les électeurs? Quelles sont les conséquences de ces jeux d’influence et d’argent dans le rapport des élus à leurs bailleurs de fonds? Le tabou du financement de la vie politique suisse est-il si grand que l’on ne peut guère envisager qu’une personnalité en campagne électorale puisse recevoir de l’argent avec le risque d’être influençable par la suite?

Si le verdict du procès de Pierre Maudet et ses acolytes ne répond pas à ces questions pourtant Ô combien pertinentes, c’est avant tout parce que la présidente du Tribunal de Police a dit le droit, et le droit suisse, aujourd’hui, ne permet pas d’encadrer convenablement les pratiques de financement politique.

La conclusion de toute cette affaire est limpide: ce n’est pas de la justice qu’il faut attendre des précisions quant aux pratiques acceptables ou non en matière de financement de la vie politique. C’est de la part des autorités politiques elles-mêmes. Et sur ce point, seuls les citoyens peuvent leur imposer de véritables changements, en exigeant de la transparence et en ne récompensant pas celles et ceux qui font de l’opacité leurs méthodes de campagne. En Suisse, lorsque les autorités ne veulent pas se préoccuper d’un sujet qui pourtant occupe l’esprit des citoyennes et des citoyens de ce pays, il existe un instrument formidable: l’initiative populaire. Si l’affaire Maudet a choqué jusque dans les contrées les plus reculées de la Suisse, que les actrices et acteurs politiques ont réellement vécu cela comme une indignité, alors il faut passer de la parole aux actes et définir ce qui relève des comportements acceptables. Cet entre-deux n’a pas vocation à garantir le lien de confiance entre les électeurs et les élus.

Parce qu’il est bien joli de jouer les vierges effarouchées quand une affaire éclabousse la vie politique, mais s’abstenir de réagir, c’est accepter une forme de complicité, voire, pire, conserver pour soi le privilège de l’opacité. Pourtant, nul n’est dupe: la puissance des lobbies en Suisse est grande, et Pierre Maudet, quand bien même cela ne l’exonère pas de ses fautes, loin de là, n’est pas le seul à avoir profité d’un système qui fait des libéralités financières une affaire privée, cachée au regard pourtant curieux à juste raison des citoyens. Puisse cette affaire servir d’électrochoc, au moins au sein de la population, pour qu’émerge une vie politique suisse plus transparente à l’égard des forces de l’argent. On peut toujours rêver.

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