Fabienne Fischer: «Des député-e-s de droite m’informent de leur soutien»

L'écologiste est favorite pour succéder à Pierre Maudet le 28 mars prochain lors du second tour de l'élection complémentaire au Conseil d'Etat genevois. Interview.
Grégoire Barbey

L’écologiste Fabienne Fischer est arrivée en tête du premier tour à l’élection complémentaire au Conseil d’Etat le 7 mars dernier avec environ 30% des voix. Un score qui, pour la presse et de nombreuses personnalités politiques, s’est révélé en-deçà des attentes. Tous les regards sont désormais tournés vers le résultat qu’elle fera au second tour ce dimanche 28 mars. Réussira-t-elle à convaincre toute la gauche de voter pour elle? Bien que Fabienne Fischer reste largement favorite pour cette élection, la performance du conseiller d’Etat démissionnaire Pierre Maudet, qui se présente sans l’appui d’un parti, a surpris beaucoup de monde à Genève – et au-delà. Avec quel projet politique Fabienne Fischer compte-t-elle convaincre les Genevoises et les Genevois? L’Affranchi lui a posé la question. Entretien.

Vous êtes arrivée en première position lors du premier tour de l’élection complémentaire au Conseil d’Etat avec environ 30% des voix. Vous avez fait part de votre satisfaction concernant ce score. Vous le comparez à celui d’Antonio Hodgers au premier tour de l’élection du 15 avril 2018. Il avait fait 40’754 voix, vous en avez fait 38’626. Mais il y a une différence entre ces deux scrutins: la participation en 2018 s’élevait à 38,77%, contre 48,15% le 7 mars 2021. Objectivement, vous n’avez pas fait le plein de voix à gauche, non?
Tout d’abord j’aimerais dire un grand merci aux électeurs et électrices qui m’ont témoigné leur confiance et leur engagement personnel. L’accueil sur les stands est toujours très chaleureux. Les gens sont inquiets de la situation. Et à juste titre! Au premier tour, j’arrive largement en tête. 30% des voix, c’est très bien, alors qu’il y avait 7 autres candidats en lice. Oui, je suis satisfaite de mon score, sans triomphalisme aucun, car tout reste à jouer. Tous les jours, je reçois de nouveaux soutiens. Le Parti du Travail et le DAL (Défense des aînés, des locataires, de l’emploi et du social) appellent, comme le Parti socialiste et les Vert-e-s, à voter pour moi. Et SolidaritéS appelle comme à son habitude à faire «barrage à droite»: comme je suis la seule candidate de gauche, c’est également un soutien à ma candidature. Des associations importantes comme l’AVIVO et Pro Vélo me soutiennent également. Tous les jours, de nombreuses personnes, chômeur-euse-s, employé-e-s précarisé-e-s, petit-e-s indépendant-e-s, chauffeur-e-s de taxi, locataires en sursis qui pourraient avoir voté MCG par le passé ou qui se disent indigné-e-s ou déçu-e-s de Pierre Maudet m’annoncent leur soutien. Des député-e-s PLR, MCG ou même UDC m’informent de leur soutien discret. Mais ce qui me touche le plus, par rapport à mon programme, c’est le soutien des jeunes: les Jeunes Vert-e-s et les Jeunes socialistes, que ma candidature avait convaincu-e-s dès le premier tour, puis maintenant les Jeunes Verts libéraux. Sur les stands ou au marché, de nombreux jeunes m’arrêtent pour me parler de leurs difficultés et de leurs préoccupations, mais aussi pour me dire leur espoir. Je ne les décevrai pas.

Vous aviez fait part dans le journal Le Courrier de votre intérêt pour un département qui s’articulerait autour de l’emploi et de l’économie, parce que vous estimez qu’il s’agit d’un enjeu crucial en lien avec la transformation écologique de la société. En quoi ces politiques publiques font sens avec les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique?
Les questions économiques sont centrales pour répondre tant à la crise sociale qu’à la crise climatique. Il faut créer de l’emploi. Nous devons penser à nos enfants et petits-enfants. Nous n’avons qu’une seule planète. Nous ne parviendrons pas à la neutralité carbone par des petites réformes. Il faut réorienter progressivement la production en créant de l’emploi pour satisfaire les besoins des gens d’ici, maintenant. Il faut réorienter la consommation vers des produits sains et locaux. Il faut renforcer notre agriculture, nos artisans, les PME locales qui sont tournées vers le marché local. L’Etat doit répondre aux besoins de la population en matière de santé et de formation. Il doit investir des milliards dans des emplois non délocalisables pour répondre à la crise climatique: dans la rénovation du bâti, dans la souveraineté alimentaire, sanitaire (produire les masques, les médicaments, les vaccins dont nous avons besoin), dans la fibre optique pour nous passer de la 5G, et reprendre la main sur nos données personnelles, actuellement aux mains des GAFAM.

De nombreux secteurs de l’économie ne se relèveront pas de la pandémie, ou en sortiront en tout cas profondément bouleversés de cette situation extraordinaire. Quel est le rôle du gouvernement pour accompagner l’économie et limiter la casse?
L’Etat doit être le pilote de la reconstruction: il doit orienter par l’investissement l’économie vers une production, une consommation et une distribution locales et durables. Ce sont des milliards que nous devons investir dans les prochaines années. L’Etat doit être le moteur de ce Green New Deal, mais il ne pourra rien faire seul. Il aura besoin des entrepreneurs, des investisseurs comme les caisses de pensions. Aller chercher des investisseurs en Chine ou aux Emirats n’est pas une solution, cela augmente notre dépendance. Nos investissements créeront des emplois non délocalisables qui renforceront notre capacité à répondre localement à nos besoins alimentaires, sanitaires, numériques et énergétiques notamment. Ces investissements seront très rentables et stabiliseront notre prospérité ainsi que les finances publiques.

Quelles sont les politiques à mettre en œuvre très rapidement pour venir en aide aux personnes qui souffrent de la crise?
Il faut indemniser à 100% les gens en RHT, le canton doit mettre les 20% de différence, en tout cas pour les revenus modestes. Il faut aussi indemniser complètement les entreprises touchées par des mesures d’interdiction – cafés, restaurants, petits commerces, le monde de la culture, de l’événementiel… Il faut simplifier les mesures d’indemnisation. Les gens deviennent fous à devoir remplir des questionnaires, recommencer deux mois plus tard… Et simplifier aussi la décision d’octroi, puis accélérer les versements. Les chicaneries faites aux chômeurs sont quant à elles insupportables. On demande le même nombre de postulations à une serveuse ou un serveur alors que personne ne pourra l’engager puisque les restaurants sont fermés! Idem pour l’Office des poursuites où les gens en difficultés de paiement temporaires voient arriver les poursuites et doivent payer, en plus de la facture en retard, des intérêts et des frais administratifs. On devrait donner des instructions pour une attitude bienveillante et compréhensive. Et je n’oublie pas les jeunes, qui souffrent beaucoup dans cette crise.

Est-ce que le Conseil d’Etat en fait assez aujourd’hui pour aider les personnes impactées par la crise?
Non, et surtout pas assez vite! Il y a urgence une véritable urgence sociale! La pauvreté et la précarité s’accroissent rapidement.

Votre élection signifierait un basculement de majorité pour le Conseil d’Etat en faveur de la gauche. La crise actuelle a nécessité d’importantes dépenses publiques, et la pandémie n’est pas encore terminée. Certains craignent que les déficits publics s’accompagnent inévitablement de hausses d’impôts. A titre personnel, vous pourriez défendre une augmentation de la charge fiscale des contribuables genevois? Si oui, pour tous les contribuables, ou seulement une partie? Dans quelles circonstances une telle hausse d’impôts s’avérerait indispensable?
Il faut se rappeler que peu après la réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA), l’initiative «zéro perte» a été adoptée par le peuple. Celle-ci vise à garantir les ressources pour garantir les prestations et permettre la création d’emplois. C’est un bon cadre à un moment où les prestations de l’Etat sont indispensables pour assurer une vie digne à toute une partie de la population précarisée par la crise. Il faut aussi distinguer entre dette de fonctionnement et d’investissement. Je suis pour des investissements massifs, utiles socialement et favorables au climat. On a besoin de milliards pour assainir les logements et le bâti en général, pour développer les énergies renouvelables locales ou encore sortir des énergies fossiles concernant le chauffage. Ces investissements créeront beaucoup d’emplois. Il faut aussi développer des emplois socialement utiles en particulier dans le domaine des soins à la personne. Pour financer les investissements et les prestations indispensables à la population, il faut prioritairement utiliser les réserves astronomiques de la Banque nationale suisse (dont la Confédération et les cantons sont propriétaires), qui a réalisé en 2020 un bénéfice de 21 milliards de francs!

Vous plaidez souvent en faveur d’une fiscalité écologique. Or, de tels instruments fiscaux ont la fâcheuse tendance à pénaliser les classes sociales les moins favorisées. Toute fiscalité qui ne se base pas sur les revenus ou la fortune est par définition antisociale. Ne craignez-vous pas que la mise en place de tels incitatifs fiscaux puissent avoir des répercussions sociales négatives?
Pour moi, la fiscalité écologique doit principalement s’appliquer aux entreprises. Il faut inciter fortement les entreprises à être responsables tant sur le plan social que sur le plan environnemental. Ces incitations fiscales doivent être accordées sur la base de résultats mesurables, pas de promesses. Et à terme, il faudra sans doute compenser la baisse de recettes fiscales qui en résultera, pourquoi pas une taxe sur les transactions financières? Quant aux entreprises qui se comportent mal, il faudra appliquer le principe du pollueur-payeur.

L’écologie n’est pas le seul domaine où la société est amenée à évoluer profondément ces prochaines années. Il y a aussi la numérisation, fortement accélérée d’ailleurs par les restrictions sanitaires. Sur ce point, que doivent faire les autorités?
Protéger absolument les données personnelles de la population. Sortir de l’emprise des Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft et des plateformes comme Netflix, Uber, AirB&B, etc.

Vous êtes avocate de profession. Est-ce que vous estimez que le droit actuel protège suffisamment les personnes dans la dimension numérique de leur vie?
Il faudra passer, sur les plans cantonal, fédéral, mais surtout international à des législations qui protègent mieux les personnes et taxent ces entreprises multinationales. Genève a un rôle à jouer pour promouvoir une gouvernance mondiale du numérique.

Le numérique bouleverse aussi le rapport des citoyen-ne-s à l’autorité. Comment est-il possible de gouverner aujourd’hui sans céder aux sirènes de la simplification et des extrêmes qui semblent faire recette?
Il faut rester proche du terrain, écouter, écouter, écouter. J’ai été 15 ans prof d’histoire et de sciences humaines au collège Rousseau. Je sais qu’il faut susciter l’esprit critique et faire preuve de pédagogie.

Les Vert-e-s sont, en principe, moins attachés à la fonction publique que les socialistes. L’ancien conseiller d’Etat vert David Hiler avait initié la réforme de la grille salariale des fonctionnaires, projet qui n’a d’ailleurs toujours pas trouvé de majorité. Dynamiser la fonction publique, la faire évoluer, c’est une idée à laquelle vous êtes favorable?
Je suis très attachée au service public. L’Etat doit répondre aux besoins de la population, en matière d’éducation et de formation, de santé et de sécurité publique, notamment. Ces besoins sont en évolution permanente, il faut une fonction publique dynamique, proche du terrain, correctement payée, ne croulant pas sous la charge de travail, ni sous le poids d’une hiérarchie ou d’une bureaucratie démobilisante.

Votre compagnon est le promoteur de la monnaie Léman et le conseiller administratif en charge des Finances en Ville de Genève, l’écologiste Alfonso Gomez, y est pleinement acquis. Allez-vous vous aussi soutenir cette monnaie, par exemple en proposant que le Conseil d’Etat, voire les fonctionnaires touchent une partie de leur salaire en Léman, et que l’on puisse payer nos impôts en Léman?
Les monnaies locales complémentaires sont des outils intéressants pour relancer l’économie et éviter que les fonds débloqués pour les aides ne viennent nourrir l’économie financière hors sol. L’Etat n’a pas encore investigué tous les instruments pour distribuer du crédit, ni pour favoriser les circuits courts.

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