«C’est la réputation de Genève qui est en jeu»

La présidente du Parti démocrate-chrétien Delphine Bachmann revient sur sa candidature surprise au deuxième tour de l'élection complémentaire au Conseil d'Etat genevois. Interview.
Grégoire Barbey

Le premier tour de l’élection complémentaire au Conseil d’Etat genevois a provoqué un petit séisme sur l’échelle de la Cité de Calvin. La verte Fabienne Fischer est arrivée en tête, suivie de… Pierre Maudet, ministre démissionnaire et candidat à sa propre réélection. Ce dernier devançait de loin son rival Cyril Aellen, issu des rangs du Parti libéral-radical (PLR). Cyril Aellen ayant annoncé durant la campagne son intention de ne pas se présenter s’il n’arrivait pas parmi les deux premières places, l’Entente (libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens) n’avait plus de candidat déclaré. Profondément divisés sur la stratégie à adopter pour le deuxième tour, les libéraux-radicaux ont renoncé à présenter une autre candidature. C’est le Parti démocrate-chrétien (PDC) qui a créé la surprise en annonçant la candidature de sa présidente Delphine Bachmann. Interview.

Votre candidature a fait l’effet d’une véritable surprise. Vous n’étiez pas candidate au premier tour de l’élection. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous présenter, en sachant que vous n’auriez que trois semaines pour faire campagne?
Au premier tour, nous étions les seuls à avoir jouer la carte collective au centre et à droite. Depuis 1937, les partis de l’Entente ont toujours eu un candidat à l’Exécutif de ce canton. Le PDC ne renonce jamais au combat, même quand il est difficile. Dès lors que le PLR n’a pas souhaité présenter quelqu’un au deuxième tour, nous avons pris nos responsabilités. La décision a été prise extrêmement rapidement. Elle n’était pas facile au plan personnel mais je l’assume avec conviction et engagement.

Disons-le franchement, vous vous êtes surtout présentée parce que vous vouliez faire barrage à Pierre Maudet et offrir aux électrices et aux électeurs de la droite une option pour leur éviter l’abstention?
Nous souhaitions porter et proposer au peuple un projet de centre-droit concret. Ma candidature n’est pas une candidature de calcul mais de convictions et de valeurs. Il nous était impossible de nous retrouver dans les autres candidats proposés et il est primordial dans une démocratie d’offrir un choix aux électeurs.

Le Parti libéral-radical n’a pas proposé de candidature pour le second tour, et a décidé de laisser la liberté de vote à ses membres. Pour la première fois depuis des décennies, libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens ne sont pas unis lors d’une élection. Vous le regrettez?
Oui je le regrette.

Est-ce que l’Entente pourra survivre à cette élection?
Il faut admettre que l’Entente n’a pas fonctionné au premier tour et nous devons l’assumer, PLR et PDC. Il faudra que chaque parti prenne le temps d’analyser la situation à l’issue de ce second tour. Une chose est certaine, les valeurs de liberté, de solidarité et de responsabilité qui ont toujours été portées par l’Entente demeurent d’actualité. Il faudra donc veiller à ce qu’elles soient portées et incarnées de manière forte en 2023.

Le Parti démocrate-chrétien défend lui aussi les intérêts de l’économie. Comment avez-vous vécu le ralliement de la Chambre de commerce et d’industrie à la candidature de Pierre Maudet, malgré sa condamnation récente pour acceptation d’un avantage en première instance – décision contre laquelle il fait recours?
C’est une position de leur comité. Je ne suis pas certaine que cela représente la position des 2’400 membres de la Chambre et encore moins les entrepreneurs genevois.

La droite genevoise est-elle condamnée à ressortir encore plus divisée après cette élection?
Je ne le crois pas. Les difficultés sont liées à un seul homme qui porte de lourdes responsabilités dans ce qui nous arrive. Néanmoins, au Grand Conseil, le PDC et le PLR collaborent de manière plutôt satisfaisante. A nous d’en faire une dynamique plus large.

Pour beaucoup de monde à Genève, Pierre Maudet a par son comportement nuit aux valeurs qu’il prétendait défendre. S’il devait être réélu dans deux semaines, qu’est-ce que cela dirait des valeurs de la droite genevoise?
Je ne pense pas que cela change les valeurs de la droite genevoise. Il n’a le soutien ni du PLR ni du PDC. De ce point de vue, les choses sont claires. En revanche si Pierre Maudet est élu dans deux semaines, il y aura un impact catastrophique pour la réputation de notre canton en Suisse. Les électeurs doivent en avoir conscience. L’enjeu de cette élection dépasse de loin de la personne de Pierre Maudet mais concerne bien la réputation de Genève. Je rappelle que notre canton va devoir aller à Berne pour décrocher différents investissements et que notre crédibilité est en jeu.

Quels sont selon vous les enjeux des deux prochaines années à Genève, d’ici aux élections générales?
L’enjeu à court terme est bien évidemment la question la sortie de crise. Nous devrons veiller à ce que le moins de monde possible sorte de cette crise avec des séquelle ; économiques pour les entreprises, sociales pour les plus précarisés, psychologiques pour les plus jeunes.

Les conséquences de la crise sanitaire vont probablement occuper le gouvernement pendant de nombreuses années encore. Pourtant, la politique ne se limite pas à la gestion des affaires urgentes. Quels sont les projets à long terme que vous souhaiteriez défendre pour le canton?
Je pense qu’il y a un grand défi de matière de formation. Nous ne sommes actuellement pas à la hauteur des enjeux. Nous devons développer une offre de formation tout au long de la vie active, et pas seulement durant les vingt premières années, afin de rester en adéquation avec le marché du travail qui prend le virage du numérique à une vitesse exponentielle. Beaucoup d’études montrent que la Suisse a encore des progrès à faire. La crise l’a d’ailleurs illustré. Si nous avions un bon système de formation continue, toutes les personnes en réduction horaire de travail (RHT) auraient pu recevoir des propositions de formation de la part de l’Office cantonal de l’emploi. Or tel n’a pas été le cas. C’est du temps perdu.

La crise sanitaire n’est pas encore terminée, mais quelle leçon tirez-vous de cette folle année sur le rôle du politique à notre époque?
Je pense que la crise sanitaire a rappelé qu’exercer des fonctions politiques, c’est se placer devant des décisions difficiles qui doivent avoir pour objectif de préserver l’intérêt général et qu’il faut savoir résister aux pressions.  J’y suis prête.

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