Une presse romande en grand danger

Grégoire Barbey

Le journalisme en Suisse vit des heures difficiles. Les événements de ces dernières semaines l’ont encore démontré (disparition de la version papier du journal Le Matin, suppression d’environ 250 emplois au sein de la SSR…).

Cette situation est en partie la conséquence du numérique. La publicité a aujourd’hui d’autres supports que la presse (en particulier imprimée). L’âge d’or des espaces publicitaires qui se vendent comme des petits pains n’est plus. Mais l’état de la presse suisse est aussi de la responsabilité des éditeurs, qui se sont trop longtemps appuyés sur leurs acquis. Alors que le journalisme a plus que jamais besoin d’être soutenu, les grands groupes de presse font le pari de désinvestir massivement. Plutôt que de donner aux journaux les moyens de se réinventer, ces entreprises préfèrent se tourner vers des activités génératrices de revenus plus attractifs. La presse, pour sa part, doit rester rentable à très court terme, raison pour laquelle ces groupes prennent des mesures d’économies drastiques année après année. Il n’y a pas de vision à long terme.

La restructuration du Matin démontre à quel point le discours des éditeurs est hypocrite. S’appuyant sur le numérique, Tamedia rappelle qu’internet réduit les coûts, d’où l’intérêt de créer une marque 100% numérique – avec une forte identité et des moyens accrus? Bien sûr que non. Non seulement la version papier disparaît, ce qui est un comble pour un journal de boulevard, mais ses capacités financières sont réduites au strict minimum. Ainsi, ce sont près de quarante emplois qui vont être supprimés. Les éditeurs veulent faire croire aux lectrices et aux lecteurs que la presse survivra avec moins de journalistes, et qu’internet nécessite moins de professionnels. Or, c’est faux. Un site n’est qu’un support, au même titre qu’un journal papier. Pour le faire vivre, il y aura toujours besoin de journalistes, de correcteurs, de relecteurs, de secrétaires de rédaction, de graphistes, d’infographistes, de photographes. Seule l’imprimerie, à la limite, n’est plus nécessaire. Mais d’autres métiers le sont désormais. Des développeurs. Des web-designers. En définitive, rien ne change vraiment…

Le journalisme ne trouvera bien évidemment pas son salut dans les suppressions d’emplois, la fusion de rédactions et la réduction de moyens financiers et humains. C’est une chimère que de le croire.

A l’heure où de nombreuses collaboratrices et collaborateurs de rédactions romandes de Tamedia ont décidé de défendre un journalisme de qualité et des moyens financiers suffisants en faisant grève, il est grand temps de prendre conscience que la situation de la presse en Suisse romande est inquiétante et fragile. Preuve en est le communiqué de Tamedia menaçant les grévistes de sanctions (licenciement avec effet immédiat, dénonciation de la convention collective…).

La lutte pour une presse de qualité, indépendante des intérêts de l’argent doit être soutenue sans réserve. Ce n’est pas en attendant que l’orage passe que le journalisme romand trouvera son salut. Celles et ceux qui se sont mis en grève pour protester contre une politique de démantèlement qui ne dit pas son nom l’ont bien compris. – (Grégoire Barbey)

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