Non à la criminalisation de tous pour quelques fraudeurs

Les Suisses voteront le 25 novembre sur une base légale qui permet à des assureurs de surveiller les assurés à l'aide de détectives privés. Sans une autorisation judiciaire.
Grégoire Barbey

Les Suissesses et les Suisses voteront le 25 novembre sur un référendum à propos de la base légale sur la surveillance des assurés adoptée en procédure d’urgence par les Chambres fédérales en début d’année. Cette base légale permettra notamment à des assurances comme le chômage, l’assurance invalidité, l’AVS et les assureurs maladie de procéder à des surveillances d’assurés présumés fraudeurs au moyen de détectives privés. Ces derniers pourront procéder à une surveillance dans les lieux publics, au moyen de captures d’images et d’enregistrements sonores. Seule l’utilisation de traceurs GPS devra être soumise à une autorisation judiciaire, les autres mesures pouvant être prises de manière autonome par les assureurs.

Cette base légale a été réalisée et adoptée de manière précipitée par l’Assemblée fédérale, peu après une décision du Tribunal fédéral en 2017 confirmant un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui estimait que les assureurs ne pouvaient pas effectuer de telles surveillances sans base légale. Cette précipitation a été telle que le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence n’a même pas été consulté lors des délibérations parlementaires, quand bien même il l’avait été pour des législations qui touchaient de près le respect de la sphère privée ainsi que la protection des données individuelles, comme l’a confirmé à L’Affranchi le secrétariat du préposé fédéral.

Cette législation est en réalité totalement disproportionnée, parce qu’elle crée un régime d’exception qui ne va pas seulement s’appliquer à des personnes qui ont réellement abusé des assurances, mais bien à toute personne qui fera l’objet de présomptions alors même qu’aucune fraude n’aura été commise.

La lutte contre la fraude aux assurances sociales ne fait l’objet d’aucune contestation, elle est même souhaitable. Mais elle doit se faire en respectant les principes juridiques relatifs à la protection des données et de la sphère privée. Cette base légale va au contraire permettre à des entités privées (les assureurs maladie, par exemple) de décider de leur propre initiative de mandater des détectives privés. Si ces derniers obtiennent des preuves de manière illégale, il y a fort à craindre que ces preuves pourront être utilisées dans une éventuelle procédure, parce que la législation suisse considère que la recherche de la vérité prime sur le moyen d’obtention de l’indice. C’est dire si les quelques garde-fous qui ont été instauré dans cette base légale ne pourront pas réellement protéger les abus.

Il convient bien évidemment de rejeter cette base légale, non pas parce qu’elle se trompe de combat, mais parce qu’elle permet l’usage de moyens qui ne sont pas acceptables. Il n’y aurait probablement pas eu de référendum si la surveillance des assurés par des tierces personnes avait été soumise à une autorisation judiciaire. Cette protection, qui aurait limité les surveillances arbitraires, n’est pas trop demandée dans un pays qui défend les droits fondamentaux des individus.

Voter non, c’est aussi s’inscrire en faux contre une tendance qui tend à prendre de l’ampleur: celle de causer du tort à tous au motif qu’il faut empêcher les gens de tricher. Comme s’il n’existait pas d’autres mesures que celles consistant à considérer tout le monde comme un potentiel abuseur de biens sociaux. C’est pourtant ainsi que fonctionnent nos assurances aujourd’hui. Quiconque a déjà eu affaire au chômage récemment en sera convaincu. La relation de confiance tant vantée entre l’Etat et les citoyens n’existe déjà plus en ce qui concerne les assurances sociales. Dans ce cadre-là, tous les assurés sont présumés coupables et doivent faire la preuve de leur innocence à la moindre virgule de travers.

Ce désir de répression va trop loin, et ce n’est pas un hasard si de nombreux membres du Parti libéral-radical (l’un des défenseurs de cette base légale) s’y opposent aussi. «Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux», disait Benjamin Franklin. Le 25 novembre, ne sacrifions pas nos libertés au motif qu’il faut lutter contre une infime minorité de fraudeurs. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. – (Grégoire Barbey)

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