La démocratie genevoise dans la tourmente

Grégoire Barbey

Ce jeudi 9 mai 2019 est une journée dont on peine à voir la fin à Genève. En milieu de journée, le site du quotidien 20 Minutes annonçait qu’une perquisition avait eu lieu dans les locaux du Service des votations au 25 route des Acacias. Motif: des soupçons de fraude portant sur plusieurs votations. L’auteur présumé de ces malversations était apparemment absent de son bureau lors de la perquisition. Depuis, c’est la débandade. La presse distille les détails au fur et à mesure qu’elle obtient de nouveaux éléments, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le tableau qui commence à prendre forme sous nos yeux ébahis a de quoi faire peur. Ce sont deux collaboratrices du Service des votations qui ont fait part de leurs soupçons à la Cour des comptes.

Selon la RTS, les deux collaboratrices ont évoqué des soupçons de fraude remontant au moins jusqu’à 2011. De quoi susciter de très sérieuses inquiétudes quant au fonctionnement même de l’institution. Evidemment, pareilles circonstances à dix jours d’un scrutin où de nombreux sujets sont soumis au vote des Genevoises et des Genevois interpellent. L’Affranchi a contacté les autorités afin de leur demander une garantie quant à l’intégrité des votations du 19 mai. Réponse sibylline, qui renvoie à un communiqué de presse diffusé en fin de journée. Les autorités n’ont pas connaissance d’éléments qui pourraient remettre en question la bonne tenue du scrutin, peut-on lire sur le document.

Or, le 19h30 de la RTS révèle que lors de la perquisition des locaux du Service des votations jeudi matin, un sac destiné à la poubelle contenait des bulletins de vote déchirés en lien avec la votation du 19 mai. Par ailleurs, d’autres bulletins ont été retrouvés dans le bureau de l’auteur présumé de la fraude. D’après la RTS toujours, l’intéressé était apparemment craint de ses collègues depuis longtemps. Il procédait visiblement de nuit. Il est question de destruction et d’ajout de bulletins de vote.

C’est Genève qui tremble au rythme des révélations. Il faut bien entendu rappeler qu’une enquête du Ministère public est en cours et qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives avant que la lumière ait été faite sur les faits. Mais qu’importe les résultats de l’enquête, qui durera probablement quelques semaines, sinon mois. Comment ne pas sombrer dans l’effroi et le doute? Quid de la votation sur la Loi sur la police, acceptée à une très courte majorité de 54 voix? L’auteur présumé a-t-il agi seul, ou pour le compte d’autres personnes, voire d’une structure quelconque? Si des fraudes devaient être avérées, les scrutins précédents sont-ils menacés de nullité?

Pire, alors que les Genevoises et les Genevois ont encore une semaine pour déposer dans la boîte aux lettres leur bulletin de vote par correspondance pour les votations du 19 mai, la question de la confiance en l’intégrité du scrutin se pose sérieusement. Est-ce que le scrutin peut être maintenu? Quid des gens qui ont déjà envoyé leur bulletin et découvrent aujourd’hui dans la presse que leur vote a peut-être été détruit?

Les autorités vont devoir faire preuve de beaucoup de zèle dans la communication pour limiter les dégâts. C’est toute la confiance dans le système démocratique genevois qui est remis en question aujourd’hui. Pour l’instant, le Conseil d’Etat ne semble pas avoir pris la mesure de l’ampleur du séisme qui vient de frapper la Genève politique. Son silence quasi-religieux inquiète, questionne. Il est nécessaire de rassurer par des faits toutes les citoyennes et les citoyens qui ce soir s’interrogent légitimement sur la fiabilité des institutions. Dans le cas contraire, c’est une véritable crise de confiance qui pourrait s’installer et perdurer jusqu’à l’établissement des faits et des responsabilités. – (Grégoire Barbey)

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Une réponse sur “La démocratie genevoise dans la tourmente”

  1. De mieux en mieux ! On aurait envie de parler de République bananière mais, dans l’un de ses éditos, la chère Ariane Dayer nous a rappelé que cela serait injurieux pour les bananes…
    Claude-Ol. Rochat

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