Le Français moyen, le politique et le climat

Pour Pierre Kunz, seuls les naïfs croient encore que les mesures de lutte contre la fin du monde n'affecteront pas les fins de mois des classes moyennes et populaires.

La mauvaise humeur qu’expriment depuis quelques temps, parfois violemment, les Français au sujet de la hausse «verte» de la taxation des carburants met en évidence autant l’inconsistance du monde politique que l’incohérence des peuples.

Inconsistance du monde politique qui discute à perdre haleine en vue de réduire l’empreinte écologique de l’humanité, mais qui reste incapable de mettre en œuvre les injonctions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Incohérence des peuples qui, à chaque rapport du monde scientifique et dès que Nicolas Hulot prend la parole, s’émeuvent des menaces pesant sur le climat et l’environnement mais refusent de renoncer au consumérisme compulsif qui les a enveloppés au cours des dernières décennies. Pourtant c’est bien la fulgurante augmentation depuis le milieu du XXe siècle du bien être des classes moyennes et populaires et leur consommation massive qui est à l’origine de la surexploitation des ressources naturelles et des atteintes au climat. Les super-riches, souvent accusés, y sont pour si peu.

Si le GIEC et Hulot ont raison, l’inaction des autorités politiques apparaît scandaleuse. Elles gagnent du temps en se défaussant sur les peuples, leur faisant croire que s’ils passent à la mobilité douce, s’ils coupent leurs moteurs aux feux rouges, s’ils chauffent leur eau au solaire, s’ils consomment «local», s’ils isolent mieux leurs fenêtres, une bonne part du chemin sera parcouru. Des efforts insignifiants en vérité, alors que dans 25 ans, selon les experts, la demande mondiale d’énergie aura encore grossi de 30%, avec comme en 2018 plus de la moitié couverte par le pétrole, le charbon et le gaz.

Reconnaissons pourtant que ceux qui gouvernent le monde, se trouvent dans une situation cornélienne. Il faudrait qu’ils se conforment sans délai aux conclusions du GIEC puis, réimposant courageusement la prééminence du politique, qu’ils décrètent les mesures drastiques seules susceptibles d’inverser le cours des choses d’ici à 2050. Douloureux programme et si peu compatible avec l’attente des peuples qui veulent bien sauver l’humanité mais sans voir remis en cause leur «pouvoir d’achat».

Pourtant, si le GIEC et Hulot ont raison, ces mesures seront vraisemblablement:
• la limitation radicale de l’accès aux ressources naturelles en danger (eau, forêts, pêche, etc.);
• la réduction massive de l’utilisation des énergies fossiles par une forte taxation de l’utilisation de celles-ci;
• la limitation des crédits en général, à la consommation en priorité;
• la diminution par tous les moyens de la mobilité motorisée terrestre, maritime et aérienne;
• un frein sévère au libre-échangisme mondialisé;
• et peut-être même l’abattage d’une grande partie du cheptel bovin mondial.

Si, comme le réclame le GIEC, la protection du climat et des ressources naturelles est portée en priorité absolue, ces bouleversements surviendront immanquablement. Ils auront nécessairement des effets considérables sur la vie des gens, des effets immenses même si les gouvernements devaient persister dans leur ambition de renoncer simultanément à l’énergie nucléaire: hausse du coût de la vie, diminution de l’activité économique et de l’emploi, grippage de l’ascenseur social, etc.

Dans ce contexte, certes, l’Etat providence, malgré son endettement dramatique, devrait en Occident pouvoir continuer à soutenir les moins bien lotis de ses habitants, grâce notamment aux recettes qui proviendront de l’incontournable taxation des transactions financières. Mais seuls les naïfs et les «gilets jaunes» croient encore que les mesures radicales de lutte contre «la fin du monde» (Hulot dixit) qui semblent désormais inéluctables n’affecteront pas les «fins de mois» des classes moyennes et populaires. Et il faudra bien que celles-ci acceptent de voir les «riches», même s’ils seront eux aussi fortement touchés, continuer de voyager et de manger du caviar.

Pierre Kunz
Ancien président de l’Institut national genevois et ancien député radical

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