Le Conseil d’Etat a annoncé cette semaine qu’il abandonnerait en 2020 le système CHVote, permettant aux citoyens de voter par internet. Le sujet fait polémique et à gauche comme à droite, la thématique est devenue un enjeu politique. Quelques rappels historiques… A Genève, le projet de vote électronique a démarré en 2001 et des essais ont démarré en 2002. En 2009, 70.2% des votants approuvent dans un référendum un amendement constitutionnel permettant le vote par internet. Parallèlement, une collaboration avec Bâle Ville débute, Berne et Lucerne suivent en 2010. En 2013, la Chancellerie fédérale publie une ordonnance fédérale fixant les conditions, les garanties qui doivent être données notamment en termes de sécurité, et un taux de 30% maximum de votants par internet, garantissant une comparabilité entre votes traditionnels et électroniques pour s’assurer de la cohérence des résultats obtenus par internet.
Dès 2015, ce sont non seulement les votations mais aussi les élections qui se font par le biais des deux méthodes et en 2017 Aarau et Saint-Gall débutent avec le système genevois.
Le système est apprécié par les utilisateurs, garanti à tous la possibilité de voter (y compris aux personnes handicapées et aux Suisses de l’étranger) et la décision récente du Conseil d’Etat paraît au mieux totalement aberrante quand on voit le montant de 2 millions de francs qui est cité comme manquant pour continuer le projet.
Pourtant, si on se penche sur le problème de manière plus approfondie que la question des deux millions, le système genevois tant apprécié et qui est repris ailleurs, doit supporter quasiment seul les risques et le financement.
Si tout le monde s’accorde à trouver génial et efficace le vote électronique, sa sureté ne cesse d’être remise en question par les milieux de la sécurité informatique, les hackers etc. Et à la moindre faille détectée, le public hurle à la manipulation de notre démocratie. Encore récemment, les médias ont repris les propos d’un hacker signalant qu’il arrivait à rediriger l’utilisateur sur une fausse page. Cette possibilité était déjà connue et ne permet pas de manipuler le vote lui-même.
Il est vrai, le vote électronique, comme celui par correspondance, comporte certains risques. La question que nous devons nous poser, au-delà des deux millions nécessaires, est la capacité d’un seul canton à les gérer, les diminuer, à moderniser sa protection de manière continue et à garantir un service fiable. Peut-on faire porter cette responsabilité au seul service informatique de l’Etat de Genève? Est-ce que c’est à nous de financer la sécurité et le fonctionnement d’un système pour tous? Quid de la pression qui va être mise sur notre canton et ses développeurs en cas de problème alors qu’il est impossible d’atteindre le risque zéro?
Si les autres cantons sont satisfaits de l’utilisation de CHVote, investir dans sa sécurité, son développement et sa maintenance semble beaucoup moins les intéresser.
Et pourtant, le sujet est crucial. Maintenir le vote électronique à l’heure du tout-numérique est primordial. Or, seule La Poste a développé un autre système. Ce qui signifierait, à mon sens, confier au privé le contrôle de notre démocratie. Quelles garanties auront-nous?
Nos données sont déjà en permanence utilisées, manipulées, souhaitons-nous vraiment laisser nos votations et élections pouvoir être un produit de business? Car c’est de ça qu’il s’agit aujourd’hui.
Alors que la Confédération veut systématiser le e-voting et supprimer cette clause des 30%, elle demande des garanties de gestion des risques extrêmement élevées sans vouloir s’investir. On peut se poser la question de sa participation dans une démarche qui a toujours été de la responsabilité des cantons. Mais ceux-ci devraient ensemble réfléchir à l’avenir du vote électronique. Car si je suis en sa faveur, je défends aussi les intérêts de mon canton et de ses services publics. Il est exclu que Genève supporte seule une responsabilité aussi importante sans les moyens qui vont avec. La stratégie de prudence du Conseil d’Etat peut se comprendre dans un contexte où le peuple ne manquerait pas de lui reprocher le moindre grain de sable qui viendrait perturber le système. On pourrait presque voir un message au reste du monde politique que nous devons désormais trouver une solution permettant de garder le vote électronique dans l’espace public, ce qui signifiera peut-être faire preuve d’audace, notamment avec une tolérance aux risques différente et nécessitera l’implication de tous.