Un deuxième conseiller fédéral UDC? Bof.

Pourquoi l'UDC n'est pas légitime à revendiquer un deuxième représentant au sein du gouvernement.
Grégoire Barbey

Les couteaux s’aiguisent à dix jours des élections fédérales. En décembre, les membres de l’Assemblée fédérale auront la lourde tâche d’élire (ou de réélire) les sept conseillers fédéraux. La composition du Conseil national servira forcément d’argument pour légitimer un deuxième conseiller fédéral issu des rangs de l’UDC. Le Parti libéral-radical, ainsi que l’a rappelé son vice-président Christian Lüscher lors du Grand Débat sur la RTS, est prêt à soutenir un candidat UDC. Les autres partis auront plus de peine à admettre un tel scénario. Heureusement, d’ailleurs. Car la ligne de défense de Christian Lüscher est bien maigre. L’avocat et conseiller national genevois affirme qu’il s’agit simplement de respecter l’institution, en appliquant le principe de la «formule magique», cette coutume qui vise à permettre aux trois partis les mieux représentés de prétendre à deux sièges au Conseil fédéral, tandis que le quatrième s’en voit attribuer un. Cette entente sur la composition du gouvernement existe depuis 1959. Pour mémoire, le Conseil fédéral était composé, de 1848 à 1892, de sept radicaux. De 1892 à 1917, les radicaux possédaient toujours six sièges, le dernier étant détenu par un conservateur. La formule magique, qui relève aujourd’hui de la mystique, avait pour objectif de maintenir une représentation équitable des différents partis tout en conservant l’esprit collégial qui anime l’institution gouvernementale en Suisse (y compris dans les cantons et les communes).

Le conseiller national démocrate-chrétien fribourgeois Dominique de Buman (qui aurait fait un excellent sénateur) a très bien défendu lors du Grand Débat de la RTS la ligne qui permet de ne pas dérouler un tapis rouge à un deuxième conseiller fédéral UDC. L’attitude peu collégiale de Christoph Blocher, qui lui a d’ailleurs coûté son siège au gouvernement, est encore présente dans tous les esprits. Et Ueli Maurer n’a pas manqué de rappeler, avec plus ou moins de tact, qu’il s’agissait bien d’une (in)discipline de parti. L’UDC est une formation politique qui ne respecte intrinsèquement pas la collégialité. C’est bien d’ailleurs l’une des raisons expliquant sa faible représentation dans les exécutifs communaux et cantonaux malgré sa forte présence à l’Assemblée fédérale. Les Suisses aiment la stabilité de leurs institutions. Le dernier baromètre électoral – pour autant que l’on accorde une quelconque crédibilité aux sondages – le prouve puisque près de deux tiers des sondés ne veulent pas de modification de la composition actuelle du Conseil fédéral.

La campagne menée par l’UDC ne semble pas en adéquation avec les préoccupations actuelles du Conseil fédéral – élu pour gouverner et non surfer uniquement sur des thèmes d’actualité. L’UDC Manfred Bühler a d’ailleurs révélé le visage de son parti lors du Grand Débat: il a affirmé qu’en matière de transition énergétique, il était urgent d’attendre, puisque selon le baromètre électoral d’octobre, seuls 3% des sondés y voient une priorité politique. Une manière de dire qu’il ne faut s’occuper que de ce qui préoccupe le corps électoral. La Suisse possède une démocratie directe parmi les plus abouties au monde, c’est indéniable. Et le système institutionnel permet aux citoyennes et citoyens d’exprimer leurs préoccupations, tout en contournant (parfois) l’avis de l’Assemblée fédérale au moyen des votations populaires. Cela n’implique pas pour autant que le Conseil fédéral se contente de se préoccuper des sujets qui mobilisent l’opinion publique (immigration, réfugiés, criminalité). Gouverner, c’est aussi anticiper. L’UDC ne peut pas se contenter d’obliger le Conseil fédéral à réagir sans préparer l’avenir. La Suisse n’a pas seulement besoin de s’occuper de la criminalité étrangère ou du solde migratoire.

Certes, la représentation d’un membre du Parti bourgeois-démocrate n’est pas logique à première vue. Mais lorsque l’Assemblée fédérale désigne les conseillers fédéraux, elle fait pleinement usage de sa compétence, qui constitutionnellement ne l’oriente d’aucune façon sur une quelconque «formule magique». D’ailleurs, ce ne sont plus seulement cinq partis qui sont représentés sous la Coupole. Les écologistes n’ont jamais obtenu de siège au Conseil fédéral, même à leur zénith. Pourquoi? Parce qu’en vérité, la composition du gouvernement est éminemment politique. Christian Lüscher peut bien prétendre défendre l’institution gouvernementale (même lorsqu’il entonne les paroles de sa chanson insultante contre Eveline Widmer-Schlumpf?), il défend surtout les intérêts de son parti. Si les démocrates-chrétiens ne changent pas leur ligne d’ici le 9 décembre, l’Assemblée fédérale aura l’occasion historique de redéfinir le mode de désignation des conseillers fédéraux. Et qui sait, peut-être qu’à défaut de caresser l’UDC dans le sens du poil, on privilégiera la compétence et la capacité à gouverner collégialement plutôt que la froide arithmétique?

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