L’accord-cadre avec l’Union européenne semble dans l’impasse politique. Malgré le soutien des milieux économiques et du Parti libéral-radical, le document négocié par la Suisse multiplie les oppositions. Dans une récente tribune publiée par le quotidien Le Temps, l’ancien conseiller d’Etat vaudois devenu président de l’Union suisse des syndicats Pierre-Yves Maillard demande que l’accord soit renégocié afin de préserver la protection des travailleurs, une position qui semble partagée par le Parti socialiste. De même, le conseiller fédéral UDC Guy Parmelin s’est déclaré en faveur d’une renégociation après la publication d’un sondage montrant une large opposition (41%) de la population contre l’accord actuel.
On notera par ailleurs que le Conseil fédéral n’a pas encore pris de position officielle sur l’accord lui-même et est allé jusqu’à le soumettre en procédure de consultation, ce qui n’était pas prévu initialement. Chaque conseiller fédéral semble avoir du reste sa propre opinion sur le document. Autant dire que l’accord-cadre dans sa version actuelle est mort-né. Cette situation est désespérante à plus d’un titre.
D’une part, celles et ceux qui font croire à la population qu’une renégociation est envisageable prennent leurs fantasmes pour des réalités. Tout indique au contraire que l’Union européenne n’acceptera pas de retourner à la table des négociations. La composition de la Commission européenne va changer puisque les élections européennes viennent d’avoir lieu. Il semble peu probable que la nouvelle administration offre une oreille attentive aux exigences helvétiques. Ce serait d’autant plus improbable si c’est le français Michel Barnier qui devait présider la Commission européenne, lui qui a été chargé par l’Union européenne de mener les négociations concernant le Brexit. Avec le résultat que nous connaissons.
D’autre part, la Suisse oublie un peu vite qu’elle dispose d’une situation privilégiée vis-à-vis de l’Union européenne, et qu’une partie des Européens voient cela d’un œil de plus en plus critique. Aucun Etat n’a su obtenir autant de contreparties favorables de l’Union européenne sans en faire partie. Mais depuis les premiers accords bilatéraux, le contexte politique a changé. L’Union européenne espérait qu’en donnant beaucoup à la Suisse, elle inciterait notre pays à l’adhésion. Cette stratégie est un échec. Et les Etats membres attendent désormais de la Suisse qu’elle s’investisse davantage, notamment à travers une reprise dynamique du droit européen.
C’est un choix que la Suisse doit faire. Et ce choix doit revenir à l’ensemble de la population. Tergiverser sur le contenu de l’accord pour éviter d’aborder la seule question qui vaille, c’est une position irresponsable et lâche tant de la part du Conseil fédéral que des partis. Il est fort probable qu’en l’état, les Suisses refuseraient l’accord-cadre s’ils devaient se prononcer dessus. Mais une campagne n’est jamais décidée à l’avance, et le bon sens voudrait que ce grand débat sur l’avenir de nos relations avec l’Union européenne ait enfin lieu. Nous devons crever l’abcès. La peur du refus conduit les responsables politiques à la fuite en avant perpétuelle. Comme si affronter la volonté populaire revenait à mettre la Suisse en danger.
Il est plus que jamais urgent d’adopter une nouvelle approche sur la question des rapports entre la Suisse et l’Union européenne. Il ne sert à rien de continuer à fuir le débat en promettant qu’une renégociation améliorera l’accord-cadre. La politique suisse est arrivée à un carrefour dans son histoire avec l’Union européenne, et doit choisir une direction claire. Peut-être qu’un gel des relations avec Bruxelles est inévitable. S’il faut en passer par-là, ce sera peut-être l’occasion pour les responsables politiques de se poser les bonnes questions: comment en sommes-nous arrivés-là? A force de jouer la montre, les fronts se sont tendus. Le Conseil fédéral ne peut plus continuer avec ses manœuvres dilatoires. Il lui faut soumettre l’accord-cadre tel quel à la sagacité des Suisses. C’est la seule attitude raisonnable.
Mise à jour vendredi 7 juin 2019: ce texte a été rédigé un jour avant la prise de parole du Conseil fédéral. Celui-ci a finalement pris position en faveur de l’accord-cadre à condition que l’Union européenne accepte de rouvrir des discussions sur certains points précis, dont la protection des salaires. Cette communication ne fait que renforcer la conviction de l’auteur.