Dans Le Matin Dimanche, le président de la Confédération et ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann propose une «solution concrète» visant à appliquer l’initiative sur l’immigration de masse (9 février 2014). Une préférence nationale version locale et par branche économique. Et de résumer cette proposition par un exemple: s’il devait y avoir une importante immigration de chauffeurs de taxi au Tessin et qu’en parallèle, le taux de chômage dans ce secteur s’accroît, les autorités auront la capacité d’intervenir via une préférence indigène dans cette branche et dans cette région.
Cette proposition a le mérite d’être nouvelle et assez originale. Johann Schneider-Amman y croit. Pas moi. Cela demeure une entorse au principe de libre circulation des personnes, et si notre président se distingue en apportant une idée supplémentaire pour nourrir le débat, il n’en demeure pas moins que sa proposition est bancale. Comment diable les autorités peuvent-elles intervenir dans un secteur privé en obligeant les entreprises à engager des travailleurs locaux? Il va déjà falloir convaincre l’Union européenne, qui je pense n’acceptera pas cette alternative. Mais imaginons un instant qu’elle veuille bien trouver un compromis et donner à la Suisse la satisfaction d’un accord qui touche à la libre circulation des personnes sans la nier totalement (ce que demande pourtant l’article constitutionnel voté il y a plus de deux ans). Comment appliquer cette solution dans les faits? Johann Schneider-Amman devrait appeler le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia (adepte de la «préférence cantonale») et lui demander si de son côté les entreprises acceptent une intervention de l’Etat dans leurs affaires.
En outre, le président de la Confédération mentionne que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lui a dit qu’en cas de Brexit, l’Union européenne n’aurait plus le temps de s’occuper d’une négociation avec la Suisse sur la libre circulation des personnes. Mais Johann Schneider-Amman est convaincu qu’il pourra obtenir, en ne relâchant pas la pression, une écoute avant que l’administration européenne ne soit en vacances. L’espoir fait vivre. Je crois que les responsables européens seront davantage occupés à réagir aux modalités de départ du Royaume-Uni et aux conséquences que cela aura dans les semaines à venir sur la stabilité politique et économique de l’Europe plutôt que de s’occuper de notre pays. C’est certes regrettable, mais en termes de priorité, la Suisse n’a pas beaucoup d’arguments pour faire plier Bruxelles.
Schneider-Amman affirme enfin qu’une ordonnance du Conseil fédéral ne serait édictée sur la question du 9 février qu’en cas d’extrême nécessité. Bien qu’en théorie, une solution doit être trouvée avant le 9 février 2017, d’après le texte constitutionnel. Je ne suis pas constitutionnaliste ni expert dans les limites du pouvoir exécutif du Conseil fédéral à travers les ordonnances. Mais je persiste à croire que le gouvernement devra passer par là avant de trouver une solution pour appliquer l’article constitutionnel. Je ne sais pas si cela est possible, mais s’il le peut, je vois bien le Conseil fédéral proroger d’un an le délai d’application dudit article. D’ici-là, l’Union européenne sera peut-être davantage en mesure de négocier avec la Suisse si la visibilité des conséquences du Brexit se fait plus claire.
Je ne crois pas que la sortie du Royaume-Uni donnera à la Suisse un poids supplémentaire dans sa capacité à obtenir un accord qui remette d’une façon ou d’une autre la libre circulation des personnes. Au contraire. Frappée dans son identité, l’Union européenne réagira sans doute à l’avenir en se montrant plus ferme encore sur ses principes fondamentaux. Enfin, tout ça pour dire que j’aimerais beaucoup être aussi optimiste que notre président. Mais franchement, je n’y arrive pas.