Pierre Maudet: «La liberté sans le cadre, c’est le Far West»

Le conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet, candidat au Conseil fédéral, détaille pour L'Affranchi ses positions politiques.
Grégoire Barbey

La succession du conseiller fédéral libéral-radical Didier Burkhalter s’achèvera ce jeudi 20 septembre. Le Conseil national et le Conseil des Etats se réuniront pour décider qui d’Isabelle Moret, d’Ignazio Cassis ou de Pierre Maudet remplacera le Neuchâtelois. Le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet s’est démarqué durant cette campagne en proposant une B+candidature de propositionsB;, selon ses propres termes, privilégiant le fond à la forme. Mais qu’en est-il vraiment? Pour le savoir, je lui ai envoyé mes questions. Voici ses réponses.

Vous êtes passé en moins d’un mois du statut d’outsider dans la Course fédéral à celui de grand rival du favori Ignazio Cassis. De plus, les médias alémaniques ont semble-t-il été largement conquis par votre style. Quoi qu’il arrive le 20 septembre à l’Assemblée fédérale, vous avez déjà gagné votre pari, non? Votre destin fédéral paraît désormais acquis, que cela soit cette année ou plus tard.
Mon objectif n’a jamais été de prendre date mais de proposer un projet, une méthode et une vision pour la Suisse. Pour maintenant et les années qui viennent. Mais c’est vrai, les semaines passées à sillonner la Suisse et rencontrer des dizaines de personnes de tous milieux ont été passionnantes. Elles ont renforcé et développé ma vision de notre pays. J’y puiserai certainement de l’inspiration ces prochaines années quel que soit mon mandat politique.

Vous êtes un libéral-radical et vous revendiquez vos convictions libérales. Toutefois, contrairement à vos deux collègues et concurrents, vous êtes surtout le représentant du radicalisme. Vous revendiquez d’ailleurs votre fibre sociale et pour vous, un Etat fort n’est pas un tabou. En quoi cette sensibilité politique qui vous distingue pourra s’avérer utile au sein du Conseil fédéral?
Je suis en effet de ceux qui considèrent que l’Etat doit donner un cadre à la société. Le libéralisme fait jouer les forces du marché et libèrent les énergies créatrices, de richesses notamment. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. La liberté sans le cadre, c’est le Far West, le cadre sans la liberté, c’est la dictature. Ni l’un ni l’autre ne me semblent bon pour mon pays. J’ai la faiblesse de croire que le pays peut bénéficier de mon expérience acquise à Genève. Je suis également attaché à l’idée de justice sociale, plus précisément à l’idée qu’il faut assurer une certaine égalité des chances. Libre ensuite à chacun fournir des efforts de de voir ceux-ci récompensés.

Vous releviez dernièrement dans les colonnes du Matin Dimanche que vous bousculiez les codes. Ne craignez-vous pas que ce tempérament qui vous est propre constitue un défaut à l’intérieur de la Berne fédérale, où l’on aime bien que les choses évoluent à leur rythme?
C’est vrai, j’ai constaté qu’il y avait à Berne des codes et des habitudes. J’ai réalisé aussi depuis 10 ans que j’exerce des fonctions exécutives qu’on pouvait faire évoluer les modes d’action. Mais surtout, c’est ma manière de fonctionner. J’ai ressenti dans mes contacts avec les parlementaires, particulièrement les plus jeunes, que les choses étaient en train de bouger. L’innovation est ainsi aussi valable en politique.

Estimez-vous qu’il y a en Suisse des secteurs qui nécessitent des réformes courageuses?
Ce n’est pas tant une question de secteurs mais de manière d’envisager les réformes et le chemin qui y mène. Je le répète, mon action est avant tout pragmatique. Problème – analyse – écoute – solution – résultats. Nous nous devons d’adapter notre société aux nouvelles réalités qui l’entoure, sans pour autant renier nos valeurs et ce que nous sommes. C’est au contraire en évoluant que nous pourrons les protéger.

Sur le plan numérique, la Suisse accuse un certain retard. La protection des données individuelles, notamment, est un sujet qui intéressent beaucoup de vos concitoyens. Certaines voix se sont élevées pour demander la création d’un secrétariat suisse au numérique, comme il en existe dans d’autre pays. Partagez-vous ce constat?
Pourquoi pas. Mais si, et seulement si on démontre que la création de cette nouvelle entité est la solution aux problèmes rencontrés. Avec mon parti, je m’oppose à la création de nouvelles couches de mille-feuille administratif qui tend à étouffer les citoyens et leurs libertés. Dans les albums d’Astérix, Goscinny évoque ainsi à plusieurs reprises la création de commissions et de sous-commissions pour enterrer chaque dossier ou se donner l’occasion de l’examiner lors d’un prochain déjeuner pour, au final, ne pas trouver de solutions.

Comment vous positionnez-vous par rapport à la collecte et à l’utilisation des données individuelles? Est-il nécessaire de mieux encadrer ces pratiques?
Comme toujours, les nouvelles technologies apportent de nouveau avantages et de nouveaux risques de dérapages. Il nous appartient de les identifier et de les traiter, sans brider l’innovation et l’esprit d’entreprise qui a fait la prospérité et le succès de la Suisse. Je pense que le citoyen doit garder un certain contrôle sur ses données individuelles, par exemple le pouvoir de s’opposer à leur diffusion ou utilisation.

L’augmentation annuelle des primes de l’assurance-maladie obligatoire inquiète bon nombre de Suisses, particulièrement en Suisse romande. Quels sont selon vous les réponses à apporter pour freiner la hausse des coûts de la santé?
Cette augmentation répond d’abord au vieillissement de la population et à un niveau de soin de plus en plus sophistiqué. Mais aussi à une certaine sur-consommation médicale. Je pense que les cantons doivent pouvoir retrouver un certain contrôle sur leur offre médicale.

Votre collègue au Conseil d’Etat genevois Mauro Poggia et son homologue vaudois Pierre-Yves Maillard vont lancer très prochainement une initiative visant à introduire une caisse de compensation cantonale. Celle-ci permettrait aux cantons de créer des entités cantonales oC9 seraient réunis des professionnels de la santé, des représentants des assurés et du canton pour fixer chaque année le montant des primes. En contrepartie, les assureurs seraient rémunérés pour leurs activités administratives. Une telle solution est-elle envisageable pour le libéral que vous êtes?
Je ne suis pas un spécialiste du sujet mais j’accueille avec bienveillance toutes les propositions qui permettraient une baisse des primes d’assurance-maladie. Dans le cas d’espèce, la vraie question est de savoir si une telle solution serait viable et fonctionnelle. Par exemple, comment la présence des HUG serait intégrée dans le calcul des primes de notre canton?

Toujours sur le plan économique, une certaine insécurité se fait ressentir dans le marché du travail. Les cas de chômage de longue durée sont toujours plus nombreux. Le sentiment que la main d’Euvre européenne accapare le travail des Suisses grandit encore, malgré le vote du 9 février et son application, jugée très light. Avez-vous conscience du sentiment d’injustice d’une partie de la population? Quelles réponses leur apporter pour mieux les protéger?
Oui. Lors de la crise financière de 2008, la Suisse, bien que moins touchée que ses voisins, a également subi un coup d’arrêt, qui a mis au grand jour le fait que la prospérité de notre pays ne bénéficie pas toujours à tous. Le temps des certitudes est ainsi terminé. Dans leur quotidien, nos concitoyens craignent pour leur sécurité économique et s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Ces inquiétudes légitimes suscitent un besoin de protection et de maintien des grands équilibres auquel l’Etat doit répondre. A Genève, j’ai mis en place une Inspection paritaire des entreprises (IPE) qui a été votée à l’unanimité par le Grand Conseil. L’objectif étant justement de lutter contre le dumping salarial et le travail au noir. Je pense ainsi que l’Etat doit mettre en place des mesures de contrôles afin de surveiller bonne application des mesures d’accompagnement des bilatérales.

Sur le plan sécuritaire, le chef de groupe socialiste à l’Assemblée fédérale, le Vaudois Roger Nordmann, vous a récemment qualifié de «hardliner». Ce qualificatif vous convient?
Quand c’est nécessaire, je sais prendre des décisions fermes. Si l’examen d’une demande d’asile a permis d’établir qu’elle n’était pas fondée, il est logique qu’une expulsion soit prononcée. Il ne sert à rien de fixer des critères si on ne se donne pas les moyens de les faire appliquer. Mais j’ai aussi montré avec l’opération Papyrus que je pouvais soutenir la régularisation de sans-papiers, bien intégrés, travaillant dans le canton et qui respectent toutes les autres lois suisses. Pour ce qui concerne la sécurité, la politique que j’ai appliquée à Genève a permis de faire baisser presque tous les taux de criminalité, à l’exception de la violence domestique. C’est un résultat salué par la population.

De récents événements ont mis en lumière le rôle de certaines filières de l’islam radical en Suisse. La population s’inquiète beaucoup à ce sujet. Quelles sont selon vous les mesures à mettre en place pour garantir la sécurité des citoyens et combattre les éventuels réseaux qui attirent, forment et envoient des gens, surtout des jeunes, faire le djihad?
Il faut renforcer la capacité de la police à suivre de près ces agissements. C’est ce que fait la nouvelle loi sur le renseignement au niveau fédéral et que je tente de faire au niveau cantonal avec la lutte contre la radicalisation via la mise en place d’un outil de prévention.

Quelle réponse doit apporter la Confédération à la question du traitement des jeunes qui reviennent justement du djihad?
Cette question a déjà traitée au niveau du canton de Genève. Nous avons mis en place un numéro de téléphone: 0800 900 777 qui permettra, sur le modèle de «la main tendue» de recueillir les préoccupations des citoyens inquiets devant la radicalisation présumée d’un proche.

Estimez-vous que la politique actuellement conduite par le Conseil fédéral dans la gestion de la crise migratoire est adaptée? Voyez-vous des changements à apporter en la matière?
A Genève, j’ai appliqué une politique pragmatique, ferme sur les renvois de personnes qui ne respectaient ni les critères de l’asile ni n’avaient la volonté de s’intégrer. Je pense que la Suisse doit répondre d’une manière digne à la détresse de ceux qui fuient leur pays en guerre ou y sont persécutés. En outre, je pense que cette question doit être traitée au niveau européen aussi.

Certains membres de l’UDC vous qualifient volontiers d’«euro-turbo», allant jusqu’à vous accuser de vouloir faire adhérer la Suisse à l’Union européenne par la bande. Quelle est votre position personnelle par rapport à l’Union européenne, et quelle devrait être selon vous la politique de la Suisse vis-à-vis de l’Union européenne?
A l’heure actuelle, la question de l’adhésion ne se pose pas. Mais la Suisse doit chercher activement à stabiliser ses relations avec ses voisins, et donc avec l’UE. Je n’aime pas l’expression d’accord institutionnel. Il donne une fausse impression d’adhésion rampante alors que ce que nous voulons est stabiliser nos relations, donner un cadre juridique sûr à nos entreprises et leur ouvrir le marché européen. Et à terme, il faut bien comprendre que l’UE est en pleine évolution avec le Brexit et les évolutions que l’on observe actuellement en Europe centrale. La question européenne est un sujet en constante évolution qui demande souplesse, pragmatisme et détermination.

Si vous deviez être élu le 20 septembre au Conseil fédéral, le hasard du calendrier fait que vous seriez le premier conseiller fédéral né à Genève depuis exactement un siècle! Le précédant étant Gustave Ador, élu en 1917. Tout un symbole, n’est-ce pas?
Ce serait un bel anniversaire. Je note également que Genève n’a pas été représenté au Conseil fédéral pendant 74 ans, de 1919 à 1993, date de l’élection de Ruth Dreifuss. Mais Genève n’est pas une région linguistique, c’est aussi la capitale des droits de l’homme et l’un des moteurs économiques de la Suisse. Pour preuve le fait que Genève soit l’un des derniers contributeurs nets à la péréquation financière fédérale.

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