Ignazio Cassis, conseiller fédéral d’un genre nouveau

Le successeur de Didier Burkhalter au Conseil fédéral a imposé son style en l'espace de quelques mois. Ses positions tranchées indiquent une évolution de la politique du gouvernement à terme.
Grégoire Barbey

Le nouveau conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères Ignazio Cassis n’aura pas attendu longtemps avant de s’illustrer, à la fois sur la scène internationale et en matière de politique intérieure. En huit mois, le Tessinois libéral-radical a imposé son style et a fait de son prédécesseur et collègue de parti, le Neuchâtelois Didier Burkhalter, un lointain souvenir en défendant une politique radicalement différente au sein du Conseil fédéral.

Didier Burkhalter faisait souvent l’objet du temps de son mandat de critiques quant à sa discrétion. C’était pour beaucoup une souris grise sans envergure. Mais celui qui, avant d’être libéral-radical, était avant tout un véritable radical au sens historique du terme, avait pour les institutions et la fonction de conseiller fédéral un respect absolu. Il défendait également, parfois contre l’avis de son parti, une politique humaniste. Si Didier Burkhalter paraissait souvent inexistant, il n’en a pas moins incarné avec brio toute la réserve que se doit d’observer un ministre des Affaires étrangères, faisant de sa parole un événement rare et contrôlé.
 
Ce n’est pas un secret: Didier Burkhalter n’appréciait guère les médias. Le Neuchâtelois estimait, à raison, qu’il est souvent difficile d’y exprimer toute la complexité d’une position politique. Les contraintes en termes de formats, de débats, de durées font qu’une interview a toujours quelque chose de frustrant. Là où son successeur Ignazio Cassis ne rechigne pas à être devant les projecteurs, Didier Burkhalter préférait se taire plutôt que d’être mal compris.
 
Le Tessinois Ignazio Cassis n’a pas tout à fait la même conception de la parole gouvernementale, ni le même rapport à la collégialité. A plusieurs reprises, le conseiller fédéral libéral-radical a distillé des petites phrases au détour d’un entretien médiatique pour susciter la polémique. D’abord en critiquant l’aide des Nations unies à la Palestine, qu’il jugeait contreproductive. Puis en affirmant qu’il était possible de rediscuter des mesures d’accompagnement à la libre circulation s’agissant des négociations entre la Suisse et l’Union européenne, dossier épineux s’il en est.
 
Il n’est pas question ici de dire si les interventions d’Ignazio Cassis étaient fondées ou non. Là n’est pas la question. Comme le rappelait l’ancienne conseillère fédérale genevoise Micheline Calmy-Rey dans une interview à Forum-RTS, il est souhaitable de débattre de tout, y compris de la politique extérieure de la Suisse. Mais pas n’importe comment. Qu’importe le bienfondé ou non de ses propos, Ignazio Cassis a rompu à plusieurs reprises la collégialité, en prenant des positions qui n’étaient pas celles, du moins officiellement, du Conseil fédéral. Dont il n’est – rappelons-le – qu’un membre parmi six autres.
 
La Suisse est reconnue internationalement pour sa politique extérieure et ses bons offices. Il serait dommageable que pour des calculs politiciens, l’actuel conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères remette en question cette reconnaissance Ô combien fondamentale pour ce pays qui accueille sur son territoire les plus importantes institutions internationales.
 
Par ailleurs, son récent soutien à l’exportation d’armes vers des pays en guerre (sous conditions) marque une véritable rupture quant à la politique menée jusqu’ici par le Conseil fédéral. Jamais Didier Burkhalter n’aurait accepté pareille compromission.
 
La politique d’Ignazio Cassis pourrait bien infléchir de manière spectaculaire la position du Conseil fédéral ces prochaines années, lui qui est dans la droite ligne de son collègue de parti Johann Schneider-Ammann, ainsi que des deux représentants du parti national-conservateur UDC Guy Parmelin et Ueli Maurer. Et le départ annoncé de Schneider-Ammann lors des élections de 2019 ne garantit pas pour autant qu’Ignazio Cassis aura à ses côtés un-e collègue de parti qui fasse effet de balancier concernant sa politique. Il semble très probable que la personne qui le rejoindra au Conseil fédéral partagera pour l’essentiel ses positions.
 
Le temps des conseillers fédéraux radicaux est sans doute définitivement révolu. Et avec le recul, il y a fort à parier que la discrétion d’un Didier Burkhalter finisse par manquer. Nostalgie. ◄

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