Inégalité salariale: Unia a monté une véritable supercherie

Le syndicat a voulu thématiser l'inégalité salariale. Il a mandaté l'agence Mosh, dans le but de «susciter l'indignation» pour ensuite révéler la supercherie. Mais celle-ci n'a pas tenu bien longtemps. Récit d'une histoire rocambolesque.
Grégoire Barbey

La fin justifie-t-elle les moyens? C’est la question que pose en filigrane une affaire plutôt rocambolesque: le syndicat Unia a monté de toute pièce une campagne sur internet pour thématiser les inégalités salariales entre femmes et hommes. LeMatin.ch s’est fait avoir, et c’est suffisamment grave pour que les faits soient ici récités.

La blogueuse Funambuline s’est indignée le 28 août sur Twitter et Facebook de deux annonces de recherche d’emploi qui exprimaient clairement une discrimination salariale à l’avantage des hommes: l’entreprise Meyer Info, société soi-disant active dans l’informatique, annonçait rechercher un-e nouveau responsable des ressources humaines pour sa succursale située à Berne. La recherche était déclinée selon le sexe. En tous points similaires, seule la rémunération différait: pour une candidature masculine, le salaire annoncé était de 80’000 francs. Pour une candidature féminine, il n’était plus que de 64’000 francs… soit exactement 20% de différence!

Si cela avait été de véritables annonces, une telle discrimination eût bien évidemment été choquante et indéfendable. Malheureusement, il ne s’agissait que d’une campagne montée de toute pièce par Unia, qui actuellement mène bataille sur la question légitime des inégalités salariales. Comme le concède Funambuline sur son blog, elle a été contacté par l’agence Mosh, elle-même mandatée par le syndicat, pour donner de la visibilité à ces fausses annonces. Contactée par L’Affranchi, la blogueuse confirme avoir été contactée par Unia le 29 mai pour lui proposer de participer à une action sur le thème des inégalités salariales. Le syndicat a donné son contact à l’agence Mosh, laquelle a contacté Funambuline courant août pour lui transmettre les différents liens des fausses offres d’emploi discriminatoires tout en lui affirmant que d’autres personnalités participeraient à cette campagne. La blogueuse se sent aujourd’hui bien seule et fait l’objet d’attaques personnelles, qui l’ont conduit à révéler le procédé pour mettre fin à ce bad buzz.

Le syndicat Unia avait l’intention de révéler que cette campagne était une supercherie a posteriori, l’objectif étant d’abord de «créer un buzz pour susciter l’indignation», dans un mail envoyé à plusieurs personnalités que L’Affranchi a pu consulter. Une conférence de presse se tiendra le 11 septembre. Contacté, une porte-parole a précisé que le syndicat «ne fait pas de commentaire sur cette affaire».

Après la publication de ces fameuses fausses offres d’emploi, les réactions ne se sont pas faites attendre et l’indignation s’est bien sûr emparée des réseaux sociaux. Comment, en 2018, pouvait-on publier de telles annonces en toute impunité? Cela méritait bien un article de presse. Alors LeMatin.ch s’est fait l’écho de ce scandale, dans un papier somme toute très sommaire, avec pour seule réaction celle de la conseillère nationale (PS/VD) Rebecca Ruiz. A l’information était jointe un commentaire de l’auteur de l’article, faisant de ce cas la démonstration évidente de l’existence de ces inégalités salariales indéfendables. Contactée par L’Affranchi, Rebecca Ruiz précise pour sa part avoir été «sollicitée par un journaliste sur un sujet qui me tient à coeur et pour lequel je suis engagée depuis longtemps, celui des inégalités salariales, j’ai réagi spontanément sans avoir le temps de faire des vérifications. Sur la forme, je ne suis pas convaincue que ce soit le meilleur moyen pour communiquer sur la thématique car la réalité présente suffisamment d’exemples d’inégalités salariales vécues par les femmes sans qu’il soit nécessaire d’en créer. Mais il appartiendra aux organisateurs de cette action de l’expliquer.» Organisateurs qui pour l’instant se refusent à tout commentaire.

Comment la supercherie a-t-elle été dévoilée? L’auteur des présentes lignes est tombé sur une publication du Valaisan Frédéric Jollien, affirmant que cet article de presse était basé sur du vent. Intrigué, j’ai donc voulu en avoir le cœur net. Je me suis rendu sur le site MeyerInfo.ch, qui m’a immédiatement paru étrange. D’abord, toutes les prestations proposées par le site étaient particulièrement sommaires, avec peu de détails pour vendre de tels services. Mais toutes les entreprises ne maîtrisent pas les codes de la communication virtuelle, raison pour laquelle il ne s’agissait d’abord que d’une impression étrange. La rubrique contact était déjà plus surprenante: l’entreprise, qui affirmait employer plus d’une trentaine de personnes et exister depuis 47 ans, faisait état de quatre succursales (Vaud, Berne, Lugano, Valais). Mais aucune adresse exacte n’était mentionnée, et le seul numéro de téléphone avait pour indicatif le canton de Zurich.

D’après une personne qui a réussi à avoir quelqu’un au bout du fil, il s’agissait vraisemblablement d’une agence qui assumait le standard. Etrange pour une entreprise familiale qui devait normalement être joignable facilement pour proposer ses services… J’ai donc continué à vérifier l’existence de cette étrange entreprise. Sur chaque registre du commerce des différents cantons où cette entreprise prétendait être active, aucune existence de Meyer Info, ni d’un certain Lucien Meyer, prétendu fondateur de l’entreprise. Sur Zefix, le moteur de recherche des registres du commerce suisses, pas de trace non plus. Sur Who is, annuaire qui permet de connaître le propriétaire d’un nom de domaine, celui de Meyer Info était bel et bien enregistré au nom de Lucien Meyer, avec pour adresse de domicile une rue du canton du Valais.

Sur l’annuaire en ligne valaisan, impossible de trouver la trace d’un dénommé Lucien Meyer. Celui-ci pouvait toutefois être sur liste rouge et ne pas figurer dans les annuaires téléphoniques. Mais c’était un élément qui jetait un doute supplémentaire sur l’authenticité de cette société. Par ailleurs, la création du site était datée de mai 2018. Etrange quand même pour une entreprise existant depuis 47 ans et active dans l’informatique. Le nom de domaine a d’ailleurs été acheté après la création de la page Facebook, fin avril… Sans compter l’absence de traces sur Archives.org, même si cela pouvait être dû à un problème de référencement… Autre élément qui a éveillé mon attention: l’absence de personnalisation du site et des pages sur les réseaux sociaux associées à l’entreprise. Seule des illustrations tirées de banques d’images étaient visibles. Pour une entreprise réellement existante, cela pose quand même quelques questions.

Interloqué, j’ai contacté l’auteur de l’article du Matin pour lui faire part de mes doutes. Il m’a dit qu’il travaillait à la vérification de l’information car le soupçon l’avait également gagné. Quelques heures plus tard, l’article du Matin.ch a disparu, avant de réapparaître le lendemain. Puis est venu le papier qui a corrigé l’information erronée, sans toutefois s’interroger plus que ça sur l’objectif de cette étrange campagne et ses conséquences sur la crédibilité de la thématique ainsi mise en lumière.

Cette histoire aurait clairement dû susciter plus d’intérêt de la part des médias, tant la méthode employée par l’agence Mosh, mandatée par Unia, est inacceptable. S’il est légitime de thématiser la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, y compris en matière de salaire, il faut le faire au moyen d’arguments crédibles et non sur la base d’éléments de preuve fabriqués de toutes pièces. Cette attitude nuit à la cause que l’on souhaite pourtant défendre. Seuls des témoignages et des sources fiables peuvent servir les intérêts d’un tel sujet. C’est bien sûr difficile de démontrer que de telles pratiques existent, car les entreprises ne sont pas stupides: si certaines paient de manière différenciée les femmes et les hommes, elles n’ont pas besoin d’en faire état à travers leurs offres d’emploi. Le tabou qui règne sur les salaires – en Suisse, on ne parle pas volontiers de sa rémunération – rend d’autant plus difficile la démonstration de cette inégalité salariale.

En tous les cas, cette campagne ratée ne fait que confirmer une chose: ceux qui sont convaincus que l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes n’existent pas se voient confortés dans leurs certitudes, puisqu’un grand syndicat comme Unia a besoin de recourir à des pratiques déloyales et inacceptables pour prouver que son discours est basé sur des faits. Ces personnes ont désormais une anecdote à raconter pour étayer leurs convictions. De son côté, le sujet de fond perd en crédibilité, et le média qui a publié cette histoire sans véritablement faire son travail de vérification n’en sort pas non plus grandi, ce d’autant plus qu’il n’a fait que le minimum pour corriger son erreur.

Cette histoire rappelle combien il est nécessaire de se montrer toujours vigilant et ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui est présenté sur internet. Plus que jamais, il convient de vérifier l’information, même lorsque rien ne nous permet de penser qu’il y a derrière la démarche un intérêt à manipuler l’opinion. Ce n’est d’ailleurs pas de la responsabilité de la blogueuse Funambuline, qui n’a été que le canal de diffusion de cette campagne malheureuse, mais bel et bien celle du syndicat Unia. Comment une structure aussi importante en Suisse peut-elle agir de la sorte sans envisager les conséquences néfastes de sa méthode? Le syndicat devra quoi qu’il arrive s’en expliquer, et sans doute présenter des excuses, tant pour la cause qu’il souhaitait défendre que pour les personnes qui ont été trompées. Espérons que le syndicat le fera à l’occasion de sa conférence de presse du 11 septembre, même si cela paraît bien tardif étant donné que la supercherie a été mise au jour.

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