Certificat de santé: un pari dangereux sur l’avenir

La mesure est un point stratégique du plan de sortie de crise du Conseil fédéral. Mais ses effets sur la société valent-ils vraiment son éventuelle utilité sur le plan sanitaire?
Grégoire Barbey

Le Conseil fédéral a décrété que le certificat de santé serait un élément important de sa stratégie de sortie de crise. Ce document permettra aux organisateurs d’événements privés d’avoir une preuve que les participants ne sont a priori pas contagieux. Il sera ainsi possible de prouver avec ce «laisser-passer» sanitaire qu’on a été soit vacciné, soit guéri du covid-19, soit testé négatif. Bref, qu’on ne représente pas un danger pour autrui.

Le gouvernement entend rassurer la population: ce certificat de santé n’a pas vocation à durer, et sa mise en œuvre respectera la protection des données. Il n’existera pas de registre central, et l’accès aux prestations publiques sera garanti y compris pour les personnes qui ne veulent pas recourir à ce sésame d’une normalité qui a tout de la dystopie. Malheureusement, si les intentions du Conseil fédéral sont sûrement louables, ses justifications ne suffisent pas à écarter toute une série de questions légitimes et fondamentales.

Si la protection des données est bien évidemment un élément important, ce n’est pas la seule question éthique qui doit être réglée dans cette affaire. Quels effets une telle mesure peut-elle avoir sur les comportements? Prétendre qu’un certificat de santé qu’il s’agit de présenter pour avoir accès à des lieux ou des services est un moyen anodin serait malhonnête. On peut raisonnablement imaginer que cela participera au minimum à une forme de banalisation de l’usage d’une technologie de surveillance.

Tout comme le port étendu du masque a d’abord été vécu comme une mesure intrusive, excessive, son usage s’est largement banalisé en une année et les individus se sont non seulement habitués à voir des visages masqués, mais également à réagir lorsqu’ils constatent que la mesure n’est pas respectée. Ainsi, dans les transports publics, si quelqu’un ne porte pas de masque, il ne sera pas surprenant de constater que les autres usagers le dévisagent, ou cherchent à ne pas se retrouver trop près.

On ne saurait affirmer que le déploiement d’une telle mesure n’aura pas d’effets collatéraux sur l’ensemble de la société et son organisation. Par ailleurs, le Conseil fédéral laisse entendre que le certificat de santé est une étape transitoire vers la levée des restrictions. Qu’il ne sera plus nécessaire lorsque le taux de couverture vaccinale de la population aura atteint un niveau suffisamment élevé. Quel est ce taux de couverture où prendre le risque de ne plus vérifier l’éventuelle contagiosité des gens s’avérera acceptable? Il s’agirait de le connaître, car qui nous dit que ce taux sera réellement atteint – puisque la vaccination n’est pas obligatoire? Pourquoi imposer un tel document si les gens qui veulent se faire vacciner ne peuvent pas l’être indépendamment de leur volonté? Il leur faudra présenter un test PCR négatif, avec ce que cela implique en termes d’organisation. Voire, éventuellement, de procéder à un autotest devant les organisateurs de l’événement – mais les autotests ne sont pas aussi fiables qu’un test PCR, dès lors, on retombe sur la question du niveau de risque acceptable…

Et qui peut dire que le certificat de santé ne sera que transitoire? L’application Swisscovid, dont la question éthique s’est aussi focalisée sur la seule protection des données sans s’intéresser aux autres effets de cette technologie, devait avoir une date de fin. Elle n’est toujours pas connue. Cette même application devait être abandonnée si son efficacité n’était pas suffisante. Cette efficacité demeure largement controversée. Pourtant, Swisscovid continue d’exister, et d’être recommandée par les autorités. Lorsque ce certificat de santé sera déployé dans la société, le Conseil fédéral n’en aura plus réellement la maîtrise. Parce qu’il se pourrait bien que l’aversion au risque pousse certains secteurs de la société à exiger de conserver une forme de contrôle quant à la contagiosité des gens.

Avec ce genre de mesures, on sait quand on la déploie, mais on ignore quand on l’arrête. Une éventuelle date limite dans la loi n’aurait pas plus de valeur qu’une simple déclaration d’intention. La politique est une matière vivante, changeante. Les contingences du moment, les intentions qui ont prévalu au lancement d’un tel projet, pourraient bien évoluer. Que nous réserve l’avenir? Nul ne le sait. Imposer ce certificat de santé sans un large débat, sans réfléchir à ses effets sur la société, c’est prendre un risque. Et ce risque pourrait être plus grand encore que d’assister à un match de foot à côté d’une personne contaminée par le coronavirus.

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