Suicide: de l’importance de ne pas juger

Réponse à la chronique de Marie-Pierre Genecand intitulée B+Olivier Guéniat nb�avait pas le droitB;.
Grégoire Barbey

Dans une chronique intitulée «Olivier Guéniat n’avait pas le droit» la chroniqueuse du Temps Marie-Pierre Genecand écrit que «se suicider alors qu’on est adolescent ou jeune adulte est une aberration. C’est confondre, souvent, une hébétude passagère liée à cet âge instable – on ne parle pas assez du gouffre des 20 ans – avec une inhabilité existentielle profonde et vérifiée sur la duréeB;. A mon sens, ce qui relève de l’aberration, c’est de porter un jugement de valeur sur un acte que seule la personne concernée est à même de comprendre.

J’ai perdu en début d’année l’un de mes amis les plus proches. Il s’est donné la mort à l’âge de 28 ans. Nous nous connaissions depuis plus de vingt ans. Nous avions grandi dans le même quartier, partagé sur certains points une expérience similaire de la vie. Pourtant, pour des raisons profondes que lui seul connaissait, il a décidé de mettre un terme à son existence. Le suicide est un sujet éminemment complexe et ne peut à mon sens se réduire à des phrases à l’emporte-pièce. Il y a bien sûr quelque chose qui m’indigne à ce sujet: c’est qu’il soit possible que dans notre société de l’opulence, il y ait des individus qui en soient réduits à s’ôter la vie.

Les raisons qui conduisent à une telle extrémité sont innombrables et je trouve vraiment insupportable que l’on puisse résumer des expériences aussi diverses à un constat unique, qui ne souffre pas la nuance: le suicide d’un jeune adulte est une aberration. Pour moi, l’aberration réelle réside dans un constat d’échec collectif. Une personne qui se donne la mort met la société face à sa responsabilité: à un moment, quelque part, il y a quelque chose qui a dysfonctionné. Je ne dis pas que nous sommes responsables de ce choix individuel, mais je pense que de tels actes ont vocation à interroger notre société.

Il y a de nombreux facteurs qui peuvent pousser quelqu’un au suicide. Ces raisons sont-elles toujours bonnes? Je ne me sens pas la compétence de juger. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il y a des expériences qui peuvent marquer les cœurs et les esprits à jamais. Il y a des jeunes adultes qui sont fracassés par la vie, même à vingt ans, et qui estiment en avoir assez vu. Ce vide, que rien ne saurait combler, ne peut se fonder sur le seul critère des années. La détresse humaine n’a pas d’âge, de sexe, d’ethnie ou de religion. C’est quelque chose à laquelle chacun d’entre nous peut être confronté à un moment ou à un autre de sa vie.

Pour des raisons multiples, qui font l’objet d’une vaste littérature psychiatrique, sociologique, certaines personnes ne peuvent pas mobiliser les ressources nécessaires pour surmonter ces traumatismes. Il s’agit parfois aussi d’un hasard morbide. D’une douleur trop intense, trop vive, qui précipite l’acte irréparable. Qui sommes-nous pour porter un jugement sur de tels gestes? Nous sommes tellement différents, qu’importe si nous avons vécu des expériences qui paraissent se ressembler, grandi dans des quartiers plutôt favorisés, etc. Personne n’est à l’abri du mal-être.

Je trouve regrettable de lire de tels propos dans un journal comme Le Temps. Il s’agirait de relire le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, qui développe avec génie toute la question du suicide et de l’absurde qui s’y rattache. L’auteur dit d’ailleurs dans son ouvrage qu’il n’y a qu’un seul problème philosophique majeur, et c’est justement le suicide.

Me reste cette question, à laquelle je n’ai pas de réponse: comment une société qui prétend combler nos moindres besoins peut-elle conduire tant et tant de personnes à quitter la vie d’une froide détermination?

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9 réponses sur “Suicide: de l’importance de ne pas juger”

  1. Content de lire une réponse à l’article aberrant et du niveau de dissertations de collégiens de Mme Genecand.

  2. Excellent texte !
    Comment peut-on s’autoriser à juger une personne qui a choisi de mettre fin à ses jours pour des raisons que l’on ne connaît pas ?
    Bonne journée

    1. Quel plaisir de lire vos commentaires! Enfin des gens qui savent comment se tenir… ce savoir-vivre, c’est bon de savoir qu’il reste encore des gens comme vous! J’aurai tellement aimé avoir des gens tels que vous à mon enterrement! Mais je suis entouré du même genre d’ordures que les chiens qui ont pondu cette merde d’article! Toujours bons à déféquer leur avis, que personne ne leur demande, et sur un sujet dont ils ignorent absolument tout!

  3. Merci à Grégoire Barbey. Merci Monsieur Barbey de répondre avec autant de sensibilité et d’élégance à l’article de Mme Marie-Pierre Genecand . L’acte du suicide si complexe et aussi incompréhensible soit-il pour certaines personnes, celles-ci devraient peut-être revoir les valeurs fondamentales de l’humanité. Compréhension, empathie, compassion. Vous avez répondu en apportant les nuances car rien n’est tout noir, rien n’est tout blanc, mais l’incompréhensible est là, parce que ces personnes en détresse ne voient plus ces infimes touches de nuances et qui les font basculer vers l’irrémédiable. J’ai aussi été confrontée aux suicides dans le cadre de ma fonction professionnelle et de proche. Je me suis sentie dépassée par l’impuissance qui nous frappe à ce moment-là. La souffrance de ces personnes est telle au point de perdre tout repère et de n’avoir aucun échappatoire au point de rompre avec sa propre vie. La douleur si intense de ces personnes au point d’en finir, car pour eux c’est une douleur marginale car justement incomprise des autres. Comment peut-on porter un jugement ? Merci d’avoir répondu à un article aberrant. Car ce jugement froid et dénué de toute sensibilité n’est-ce pas la symptomatologie du cynisme de notre froide et dure société qui nous plonge dans une réalité glaçnte. Merci Monsieur Grégoire Barbey pour la qualité de votre article et votre humanisme.
    îMuralt

  4. Merci pour ce magnifique article.
    Cette réponse devrait être imprimée dans les pages du Temps (si cela n’a pas déjà été fait).

  5. Madame Génécand nuance tout de même un peu ses propos, mais malgré tout le fond reste très choquant quant on lit:
    -Le suicide des jeunes est « aberrant »
    – M. Guéniat n’avait pas le droit « car il apportait tant à la société ». Celui qui n’apporte rien aurait-il le droit?
    Une manière très matérialiste de voir les choses … bien dans le ton de notre époque

  6. Le suicide aberrant ou acte de courage ou encore de liberté ?
    Quand on se suicide, qubon sbabat, cbest quand la personne que lbon est ne peut plus se sup-porter ; que lbon ne peut plus composer avec soi-même ; que lbon est devenu insup-portable pour soi -même, sans doute !
    Alors société ou pas, bonne conscience ou pas, moralité ou pas ; il sbagit dben parler ; de sben parler pour un peu plus dbhumanité que dbordinaire.

    1. Je suis une vieille dame paisible de presque quatre-vingts ans. Il y a plus de soixante ans, je rêvais de « me réveiller morte » comme je l’écrivais dans mon journal, et j’aurais pu réaliser ce rêve absurde en me suicidant. Je ne me sentais pas de taille à faire face à la vie, j’avais juste un ravageur chagrin d’amour, une vétille diraient les grandes personnes raisonnables, mais pour moi, cela paraissait insurmontable…… ou presque……. puisque je suis toujours là, soixante ans plus tard, et puis en parler. Choisir le suicide est toujours une manière de sortir d’une impasse insoluble, ou d’arrêter de souffrir… Juger cela montre qu’on n’a jamais traversé une telle souffrance, ou un tel doute, ou été désemparée et ne pas voir d’issue.

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