L’UDC a publié vendredi 26 août un «document de fond sur la politique médiatique». Sur près de quarante pages, le parti dresse le tableau du paysage médiatique suisse tel qu’il le perçoit, à travers l’interprétation de données statistiques. Après tout, il s’agit d’une prise de position politique, il n’est donc guère étonnant que son analyse ne se borne pas à un simple rappel du contexte économique des médias. En revanche, ses conclusions sont nettement plus inquiétantes. En effet, si l’UDC adopte un ton plutôt conciliant sur l’importance des médias dans la libre formation des opinions en démocratie, le parti n’hésite pas à défendre une vision très restrictive du marché de l’information, affirmant que seule une totale liberté de concurrence peut s’appliquer à ce secteur. La lecture de ce document politique révèle assez rapidement le double discours de l’UDC. Tout en revendiquant à de nombreuses reprises son souhait de laisser au marché le soin de réguler la pluralité des médias, on comprend bien que son souhait est d’accélérer la consolidation qui s’opère dans le secteur.
En effet, l’UDC n’a jamais caché sa défiance à l’égard des médias traditionnels (et aussi vis-à-vis du service public, évidemment), accusés par le parti d’être foncièrement contre sa politique. Donc instrumentalisés par ses adversaires politiques, en particulier la gauche. Si le parti affirme défendre la pluralité de la presse, c’est-à-dire une offre de qualité permettant de véhiculer le plus grand nombre d’idées, il n’est pas difficile de lire entre les lignes son intérêt. Ce double discours se traduit notamment dans les conclusions du document. L’UDC demande une réduction de moitié du montant de la redevance, tout en affirmant qu’un modèle dual doit s’imposer à l’avenir, à savoir le financement public (à travers la perception de la taxe) pour les médias de service public, donc la SSR, et le financement privé par la publicité pour les médias privés. Pour l’UDC, l’avenir du modèle économique des médias privés semble toujours se situer dans la publicité. C’est pourquoi le parti veut retirer à la SSR la capacité de financer en partie ses activités par des revenus publicitaires. Or, il n’est bien sûr pas démontré (et probablement peu démontrable) qu’une interdiction de la publicité pour la SSR générerait un simple transfert des dépenses en la matière au bénéfice des médias privés locaux. La concurrence avec les médias étrangers est rude, et les exigences des annonceurs ont fortement évolué ces dernières années avec les innovations technologiques et internet. Rien ne garantit qu’une telle interdiction ne profite pas davantage aux médias étrangers, lesquels perçoivent déjà une part des dépenses publicitaires suisses, je pense notamment à M6 ou TF1.
Car bien que la politique de l’UDC s’articule sur l’idée de frontières précises, les dépenses des annonceurs se limitent de moins en moins au seul territoire national. L’interdiction de la publicité pour la SSR, un débat que l’UDC n’est d’ailleurs pas le seul parti à porter, pourrait donc ne bénéficier que partiellement aux entreprises et autres groupes de médias locaux. Par contre, la baisse du volume de la redevance et la suppression pure et simple des revenus publicitaires aura d’évidents impacts sur la qualité des contenus des chaînes nationales. Je ne conteste pas la discussion sur les prérogatives de la SSR, il s’agit d’une question légitime. Je m’étonne cependant de la vision de l’UDC, qui affirme que le service public doit couvrir ce que les médias privés ne peuvent ou ne veulent pas produire, tout en plaidant en faveur d’une réduction drastique de ses moyens.
L’analyse que je fais de cette prise de position est la suivante: en plaidant en faveur d’une libéralisation totale, pratiquement inconditionnelle, du secteur de la presse, tout en réduisant le financement des médias publics, l’UDC veut laisser l’information aux seules forces de l’argent. C’est une position tout à fait défendable, mais je ne peux m’empêcher de songer aux intentions qui se cachent derrière ce discours. En effet, la problématique de la viabilité économique des médias ne se limite pas seulement à une crise des revenus publicitaires, quand bien même l’UDàsemble affirmer le contraire. Le problème est structurel, et en grande partie lié à l’évolution des habitudes de consommation de l’information. De nombreux défis s’imposent aujourd’hui aux médias, et présenter la concurrence comme la solution magique à un renforcement de la diversité de la presse est malhonnête.
La politique médiatique défendue par l’UDC pourrait par contre accélérer le processus de consolidation du secteur en restreignant l’offre. Le portrait très positif que le parti dresse de la «convergence des médias», estimant qu’elle implique de nouvelles opportunités, notamment sur le plan économique pour les annonceurs, n’en est pas moins préoccupante. L’UDC a tout intérêt à voir l’offre se réduire tout en continuant d’investir petit à petit dans les médias privés, comme le fait avec un certain succès Christoph Blocher depuis plusieurs années. Ce parti semble avoir compris qu’aujourd’hui encore, le contrôle des canaux de diffusion des idées demeure central d’un point de vue politique. Un contrôle qui bien sûr ne dit pas son nom, puisque l’UDC plaide en faveur d’une politique non interventionniste dans les médias. Le plus inquiétant ne demeure pas à mes yeux la position de l’UDC, qui ne fait que défendre ses intérêts et souhaite améliorer la diffusion de ses idées. C’est plutôt l’absence de prise de conscience des autres partis qui soulève des interrogations.
Le modèle défendu par l’UDC pourrait effectivement conduire au retour des titres bénéficiant avant tout d’un solide mécénat, mécénat évidemment intéressé sur le plan politique. Et du côté des forces politiques centristes, cela fait longtemps qu’on feint de ne pas y toucher, de ne pas tenter d’impacter les médias. C’est comme si l’avènement de la presse généraliste, qui avant été possédée et financée par des partis ou des personnalités politiques, avait rendu amnésique toute une génération. Or, la presse demeure encore aujourd’hui un haut lieu de formation des opinions, et bien que cela soit moins visible, la lutte du pouvoir passe aussi par l’information, et la diffusion des idées. Dans l’ouvrage Conversation avec le président, paru ce mois, deux journalistes ont publié leurs discussions avec le président français François Hollande. Lequel exprime sans détour que le pouvoir politique peut et doit orienter l’information et les journalistes. Certains journalistes français semblent avoir été surpris par cette déclaration cynique. Et pourtant, la création de site de «réinformation» par des groupuscules d’extrême droite ne fait que confirmer une réalité qui n’a jamais changé malgré les époques et les évolutions technologiques: la guerre se passe aussi dans l’information. Le document de l’UDC démontre que le parti en est pleinement conscient. Quid de ses adversaires politiques?