Le Conseil d’Etat crie haro sur le Maudet

Le gouvernement genevois a annoncé de nouvelles mesures organisationnelles. Antonio Hodgers reprend provisoirement la présidence de l'Exécutif et Mauro Poggia sera en charge de la police. Le Conseil d'Etat a fait part de sa désapprobation quant au comportement de Pierre Maudet.
Grégoire Barbey

A situation inédite, décisions inédites. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier les circonstances dans lesquelles se trouve actuellement le Conseil d’Etat genevois, pris dans la tourmente de ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler «l’affaire Maudet». Pour la deuxième fois consécutive, le gouvernement a donc annoncé des mesures organisationnelles afin de sauvegarder l’institution tout en permettant au conseiller d’Etat Pierre Maudet d’être au-dessus de tout soupçon quant à un éventuel interventionnisme dans la procédure judiciaire qui le concerne. Lors d’une conférence de presse très attendue – quel euphémisme –, le vice-président de l’Exécutif, l’écologiste Antonio Hodgers, a annoncé reprendre la charge de la fonction présidentielle, jusqu’alors en mains de Pierre Maudet. Devant la presse, Monsieur Hodgers a affirmé que c’était une décision prise par Monsieur Maudet en personne. Dans la suite de cette réorganisation qualifiée de «prudentielle», c’est le suppléant du Département de la sécurité, le MCG Mauro Poggia, qui sera désormais en charge de la police. Pierre Maudet reste en charge du Département de la sécurité, bien que celui-ci soit privé d’autorité sur les relations entre le gouvernement et la justice, sur la police et l’Inspection générale des services. Bref, un Département de la sécurité dépourvu de ses prérogatives fondamentales. De surcroît, et pour éviter tout soupçon vis-à-vis de Pierre Maudet, la gestion de l’Aéroport international de Genève a été confiée au Département des infrastructures, géré par le démocrate-chrétien Serge Dal Busco. Plusieurs tâches liées à l’Economie ont pour leur part été transférées sous l’autorité de Pierre Maudet, ceci afin de conserver un semblant d’équilibre entre les différentes tâches des sept membres du Conseil d’Etat.

Lors de cette conférence de presse, Antonio Hodgers n’a pas caché que la situation était pour lui et ses collègues du gouvernement difficile à vivre «sur le plan humain». Celui qui présidera désormais le gouvernement de manière provisoire a bien sûr admis que les aveux de Pierre Maudet ont été vécues comme une surprise par le Conseil d’Etat. Selon lui, Pierre Maudet a livré durant la précédente législature et l’actuelle des informations erronées au gouvernement. Ce faisant, il a violé le protocole, en plus d’avoir accepté des avantages dans le cadre de sa fonction (le voyage d’Abu Dhabi, dont on sait désormais que les frais ont été couvert par le prince héritier Mohammed ben Zayed Al Nayhane). La justice dira de son côté si ce volet de l’affaire constitue ou non une violation pénale. Mais le Conseil d’Etat, pour les éléments qui le concernent directement, a fait savoir lors de cette conférence de presse qu’il «déplorait fermement» le comportement de leur collègue.

Sur le plan institutionnel, il est bien évidemment difficile pour des membres du Conseil d’Etat, lorsqu’ils sont réunis en séance officielle, de pousser l’un de leurs collègues à la démission. Ils n’en ont tout simplement pas la prérogative, comme l’a rappelé Antonio Hodgers. Mais des entretiens bilatéraux entre Pierre Maudet et ses collègues ont visiblement eu lieu, et nul ne sait si ce sujet a été évoqué.

L’objectif du Conseil d’Etat était dès lors de préserver son intégrité et son image en prenant les mesures adéquates pour limiter les conséquences de cette affaire. Antonio Hodgers a toutefois tenu à rappeler combien la situation dans laquelle se trouve Pierre Maudet est également difficile pour ce dernier.

Interrogé par plusieurs journalistes, Pierre Maudet s’est montré comme à son habitude sûr de lui et presque impassible. Il a réaffirmé son intention de continuer à gouverner tant que la situation le lui permet, tout en précisant être en accord avec les décisions prises par le Conseil d’Etat, ce dernier les ayant prises à l’unanimité.

Au sortir de la conférence de presse, le conseiller d’Etat Mauro Poggia a livré quelques mots à la RTS et à Léman Bleu, affirmant qu’il entendait gérer la police «comme si cette situation devait être permanente» puisque la durée des mesures provisoires n’est pour l’heure pas connue. Il n’a pas hésité non plus à affirmer que de ce mal pouvait naître un bien. Des commentaires qui ont probablement fait grincer quelques dents au sein du gouvernement.

Il est pour l’heure difficile de dire si ces mesures s’avéreront efficaces pour circonscrire le périmètre de l’incendie. Car il y a péril en la demeure. Demain, le Conseil d’Etat doit communiquer son programme de législature, son plan financier quadriennal ainsi que son projet de budget 2019. Une échéance extrêmement importante sur le plan de la législature actuelle. L’accueil que réserveront les députés à ces différentes communications en dira déjà long sur la situation du gouvernement, et si le sérail politique genevois sera capable de faire abstraction de l’affaire qui agite tous les esprits tant que Pierre Maudet demeurera en fonction.

Dans l’émission de Léman Bleu, animée par Jérémy Seydoux et Valentin Emery en parallèle de la conférence de presse, la plupart des responsables politiques conviés à la table des dicussions ont fait part de leur scepticisme quant aux décisions prises par le Conseil d’Etat et l’avenir politique à court terme de Pierre Maudet. Le président des Verts Nicolas Walder, la présidente du Parti socialiste Carole-Anne Kast et le représentant d’Ensemble à Gauche Pierre Vanek ont jugé que Pierre Maudet devait pour sa part emprunter le cheminement intellectuel qui le conduirait logiquement à la seule issue possible selon eux: la démission. Plus prudent, le démocrate-chrétien Jean-Luc Forni a annoncé que l’objectif de son parti était le bon fonctionnement du Conseil d’Etat et que, le cas échéant, Pierre Maudet devrait prendre ses responsabilités si l’institution devait se trouver dans une situation inextricable.

Elément intriguant, Pierre Maudet a démenti durant la conférence de presse une information de la RTS selon laquelle une séance de crise du Parti libéral-radical suisse s’était tenue ce matin à Berne à la suite de sa chronique publiée dans le journal alémanique Blick intitulée «In vino veritas». Selon les informations du conseiller d’Etat, une telle séance n’a jamais eu lieu. La RTS aurait-elle accordé une confiance trop importante à sa ou ses sources? Quoi qu’il en soit, si le parti national s’en mêle, la situation de Pierre Maudet pourrait évoluer très rapidement, et pas forcément dans son sens.

Mise à jour: La présidente du Parti libéral-radical suisse Petra Gössi a publié les propos suivants sur sa page Facebook: «Tout d’abord, je suis déçue par le conseiller d’État Pierre Maudet. Plus précisément, je suis convaincue que toute personne à l’esprit libéral est toujours attachée à la vérité, surtout si elle a une fonction d’exemplarité à travers sa fonction politique. Ces dernières années, nous avons investi beaucoup de travail et d’énergie pour montrer que nous sommes un parti populaire dans lequel nos élus défendent la Suisse et sa population et non leurs propres intérêts. Il appartient maintenant au PLR Genève et à Pierre Maudet de se demander s’il peut encore mener son mandat après cette perte de confiance ou s’il doit en tirer les conclusions appropriées.»

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